ACOS4
et les machines NEC
par Jean Bellec, responsable du projet Aquila (1984-1988)
Les constructeurs informatiques
japonais étaient depuis les années 1950 associées à des constructeurs américains
dont ils avaient acquis les licences. C'est ainsi que Toshiba était titulaire
des licences de General Electric dont il fabriquait le série 600 et Nippon
Electric l'était de Honeywell dont il fabriquait le séries 400 et 200.
Lorsque en 1970 survint le rachat de la division informatique de General
Electric par Honeywell, le MITI encouragea fortement une fusion des activités
ordinateurs entre Toshiba et Nippon Electric sous le leadership de ce dernier.
Le plan Honeywell de New Poroduct Line NPL élaboré en 1971 fut adopté par NEC qui renouvellera ses accords de licence avec Honeywell, y compris celles couvrant les produits qui deviendront le Level 62 et le Level 64. Ces accords, conclus pour 10 ans, donnaient à NEC tous les droits d'accès au dossiers d'étude et de mise en fabrication des ordinateurs et de leur technologie ainsi que les droits d'en dériver des versions propres. Un accord croisé de brevets et le versement d'une somme en cash à Honeywell représentait la contre-partie d'un accord favorable à la partie japonaise, dont on peut penser que Honeywell en avait négligé la capacité créatrice.
Outre cet accord, NEC bénéficiait de l'appui du MITI pour le développement de la technologie VLSI, et de celui de NTT pour livrer à l'opérateur téléphonique une série de machines de grande puissance compatibles IBM, la série DIPS.
NEC acheta deux prototypes Level 64 à Honeywell-Bull afin de pouvoir disposer de machines en interne pour faire la qualification du logiciel GCOS64, fournis par NEC à ses clients dans une version appelée ACOS-4. On notera pour l'anecdote que le premier système échoua en Libye et partit en fumée dans un 747 de Japan Airlines détourné à Benghazi. Honeywell-Bull fournit également à NEC les plaques des tous premiers systèmes ACOS-4 modèles 350 et 450.
NEC ayant fait de ACOS4 sa
ligne principale, ils réalisèrent une version multi-processeurs en devançant
de quelques années le DPS-7 de CII-HB. Ils introduisirent également le support
de la pagination en continuant une étude entreprise par Bull qui avait été
suspendue, faute de ressources en 1975.
D'autres perfectionnements furent faits pour concurrencer les grands systèmes
de IBM Japon. C'est ainsi que le time-sharing fut introduit sur le modèle de
TSO de l'IBM MVS et qu'un serveur transactionnel inspiré de IMS furent développés
indépendamment de Honeywell-Bull par NEC. NEC développa aussi une architecture
de réseau appelée DINA qui reprenait l'architecture de IBM SNA.
Les développements technologiques de la ligne ACOS-4 furent développés conjointement avec ceux de la ligne DIPS, ceux de la ligne ACOS-6 (à l'architecture compatible GCOS-66 / GCOS-8) et à ceux de la ligne de supercomputers SX. Le SX avait par ailleurs dérivé de la ligne ACOS-4 son processeur scalaire et –avant de passer sur UNIX- a utilisé une variante de ACOS-4 (lui-même un descendant de GCOS 64).
Après une première génération identique au niveau64 (technologie TTL), NEC développa une seconde en ECL standard, puis se lança jusqu'à la fin des années 1980 dans trois générations successives de CML de plus en plus intégrée jusqu'à développer des processeurs très puissants sur une seule grande plaque. Ces machines étaient, en ce qui concerne ACOS-4, refroidies à air, cependant que le SX et les machines ACOS-6 développées surtout pour Honeywell (ACOS 2000 et 3900 Zeus) utilisaient un refroidissement à eau.
Vers 1986, NEC se rangea , un peu après Bull, sur la technologie CMOS et un grand nombre de processeurs qui avait été jusque là limité à 4 processeurs.
Une différence importante entre Honeywell et Bull d'une part et NEC d'autre part était que leur "business model" était différent. Le Japon avait conservé essentiellement la location comme mode de commercialisation et les ventes de mainframes représentaient l'exception. Le financement de la location était assurée par des banques auxquelles s'adossaient les constructeurs (Sumitomo Bank dans le cas de NEC). Ceci permit à NEC de consacrer l'essentiel de ses efforts à la technologie du haut de gamme et de "recycler" les modèles antérieurs en modèles d'entrée. Un soin particulier fut apporté par eux à la qualité de fabrication parfois au dépens du coût afin d'assurer la pérennité de ce modèle.
Au début des années 1980,
Honeywell voulait entreprendre un retrait progressif de l'informatique, tandis
que Bull désirait réduire ses investissements en serveurs "propriétaires"
pour se lancer dans les serveurs et les stations "standard". Un
dilemme se posa alors: ne faudrait-il pas se reposer sur NEC pour faire les
investissements "hardware" des mainframes? Le programme DPS-88 de
Honeywell manifestait des faiblesses (complexité, fiabilité) et il fut décidé
d'adopter le NEC ACOS-6 S/1000 comme haut de gamme DPS-8 sous le nom de DPS-90.
Deux autres systèmes commercialisés sous le nom de DPS-9000 lui succédèrent.
Pour Bull, le problème se posait aussi pour la suite des programmes Leo
et Lyra pour lesquels le programme Ares en CMOS n'offrait pas de performances
suffisantes. Un essai de collaboration avec Trilogy Corp (de Gene Amdahl)
s'effondra avec l'échec de la technologie Trilogy. Si bien que fin 1983, Bull
suivit le chemin montré par Honeywell pour importer également un processeur
ACOS-4. Ce fut le S/750 un peu ancien mais très fiable qui fut choisi
dans un projet de nom de code Aquila.
Cependant, si l'unité centrale était de conception et de fabrication
japonaise, tous les systèmes périphériques et le logiciel restaient développés
en France par Bull. GCOS-7 dut évoluer en hâte pour supporter une mémoire
virtuelle paginée qui était de base sur le S/750 tandis que la qualification
aux normes occidentales d'une machine japonaise n'était pas sans poser (à NEC)
de nombreux problèmes mineurs. Bull obtenait en outre accès au code source de
ACOS-4, ce qui permit de réaliser sans hésitation ni états d'âme un support
compatible de la pagination sur GCOS7.
Le S/750 fut commercialisé en 1987 sous le nom de DPS-7/10x7 avec une
centaine de processeurs . Bull
–et son actionnaire de l'époque- avaient plus de réticences que Honeywell
devant un tel retournement des rapports avec les Japonais. Bull pensait qu'il y
avait un risque de capture du parc GCOS-7 par NEC, risque probablement exagéré
car NEC considérait que les investissements commerciaux pour un telle stratégie
ne valaient pas la peine pour une société encore dominée par sa croissance
technologique.
Après la collaboration sur le
S/750 qui avait montré que les deux sociétés y avaient gagné une estime réciproque,
on discuta de la suite: NEC avait en 1985-1987 une stratégie de confrontation
frontale avec IBM sur les mainframes et considérait que la ligne ACOS-4 (et le
SX) en était l'axe principal. NEC proposa donc à Bull l'adoption du S/3800
(nommé ACOS-4C) qui était significativement plus puissant que les modèles 390
de IBM et une convergence vers une extension de l'interior decor (XSA) définie
en commun. La Ligne de Produits GCOS 7 fut tentée par cette stratégie qui
remettaient les compteurs à zéro sur les questions de propriété
intellectuelle entre Bull et NEC et laissa envisager l'importation par NEC des
futures machines Auriga 2 en cours de développement chez Bull. La collaboration
avec NEC s'accompagna également d'un achat par NEC de la technologie développée
par Bull pour le support des mémoires disques en secteurs fixes.
Cependant, la coordination étroite entre GCOS-7 et ACOS-4 échoua, peut-être
sur une décision de l'actionnaire en 1990, plus sûrement de par la stratégie
de Bull qui désirait appliquer ses ressources à la consolidation du parc établi,
donc aux systèmes GCOS-8. D'autre part, les départements engineering des deux
compagnies devenaient quelque peu rivaux, car NEC décidait lui aussi de faire
de la technologie CMOS la technologie clé de ses machines.
La stratégie de NEC changea en effet presque radicalement dans les années
1990, les serveurs UNIX s'orientèrent rapidement sur la collaboration avec
Hewlett-Packard et Intel, les micro-processeurs furent abandonnés, des
alliances technologiques ponctuelles furent conclues avec le rivaux Samsung,
Mitsubishi, Toshiba et Hitachi, tandis que plusieurs générations de managers
se succédèrent rapidement: le NEC des années 1970 et 1980 avait vécu.
Le projet de commercialisation du processeur Auriga 2 ne vit pas le jour,
NEC ayant mené un crash program dans l'adoption de la technologie CMOS et Bull,
engagé sur la ligne DPS-8, n'ayant su convertir à temps Auriga 2 aux
extensions XSA.
La divergence dans la stratégie UNIX entre les deux compagnies contribua
aussi à limiter essentiellement la collaboration des deux compagnies aux liens
capitalistiques (NEC restant un
actionnaire à 17% de Bull malgré les augmentations de capital), à une
information réciproque et à l'accès par NEC aux développements CMOS sur le
DPS-9000.