Texte de la présentation de Christian JOLY le 14 Octobre 2004.
Trente ans
de GCOS7
C’est à la fois un bonheur et un honneur de
pouvoir évoquer ensemble les grands moments du programme GCOS7.
Vingt minutes
allouées pour ce tour d’horizon m’obligeront à des raccourcis saisissants. J’ai
donc pris le parti, à travers cette grande aventure technique et humaine, de
montrer comment la technologie a influencé nos organisations, notre métier, et
notre vie durant ces trente dernières années.
Note: le texte de Christian Joly a été remis en forme pour permettre sa consultation dans un navigateur HTML. Les diapos et les photographies présentées peuvent être observées en cliquant sur les miniatures dans le texte. Elles sont ouvertes dans des fenêtres séparées et doivent être fermées manuellement au gré du lecteur. Les images sont optimisées pour un format d'écran 1024x768.
La Technologie
Les choix technologiques relatifs au Sous Système
central ont toujours fait l’objet de violentes empoignades au sein de la
Compagnie.
Pourquoi?
Parce que, tout simplement, ces choix déterminent: la performance, la fiabilité, le coût des systèmes et par conséquent leur avenir commercial.
Parce qu’il doivent être décidés de façon prématurée par rapport à l’évolution technologique de l’industrie, compte tenu du fait que trois ou quatre ans s’écoulent entre le choix d’une technologie et la première livraison en clientèle du système.
Il faut donc prendre des risques pour être sur le
marché en phase avec la compétition et, surtout, se garder de choisir une
technologie mature à l’époque du choix, mais devenue totalement obsolète à
l’époque de la livraison.
Il importe aussi que, quand une décision est prise
au niveau du Comité Exécutif, l’ensemble de la Compagnie fasse en sorte que la
décision prise devienne une bonne décision.
Les Systèmes
Le P7 a été conçu en version monoprocesseur. Puissance du processeur : 250 Kop/s
P7 a été le premier système de BULL utilisant
exclusivement des circuits intégrés. Cette technologie présentait un faible niveau
d’intégration. Le consensus TTL s’est imposé, les débats ont porté seulement sur
le choix de la source d’approvisionnement: Motorola ou Sylvania. La technologie mémoire a été la DRAM avec dans un
premier temps des boîtiers puis de 4K bits , une version 2K bits n’ayant été utilisée que sur les
systèmes distribués sur le marché US. Le packaging, technique d’assemblage des différents
composants, avait une part importante dans la réalisation du système du fait de
son poids dans la fiabilité et le prix de revient du système. Les interconnexions électriques étaient réalisées
par : Le packaging mobilisait des forces de développement
importantes : implanteurs, mécaniciens, thermiciens,… Il est important de ne pas oublier les différentes
servitudes : alimentations poste de maintenance refroidissement,… ainsi que le volume de
circuits dédiés uniquement au diagnostic au niveau de la plaque en cas de panne
en clientèle. L’unité centrale de P7
comportait 90 plaques de commutation enfichées dans trois paniers montés dans
une ossature en mode page refroidie par air.
La mise au point des
prototypes et des avant-série effectuée par une équipe de spécialistes dont
c’était le métier, s’appuyait sur les outils suivants : listes de sonnage bit patterns de test des circuits imprimés opérations élémentaires (OPELS) puis des tests de plus en plus complexes jusqu’au fameux
« GCOS READY » qui indiquait que le système était prêt à tourner les
premiers programmes client. Les modifications
nécessaires au cours de la mise au point étaient possibles et réalisées par des
coupures de circuit imprimé, des ponts en fils soudés( straps) et des
changement de connexions enroulées sur les fonds de paniers. ------------------------------------------------------------------------ La ligne
DPS7 Elle est constituée du système LEO et de sa version
compacte LYRA d’une puissance processeur de 1,1 Mip/s et du système TAURUS de
500 Kop/s. La technologie de commutation utilisée a été la
CML associée au Micropackaging. Le choix définitif en a été fait en 1976 lors de la
fusion d’HONEYWELL-BULL avec la CII. L’alternative était : soit la technologie ECL
10K/100K, boîtiers standard de l’industrie de l’époque, soit la technologie
propriétaire CML/Micropackaging avec chips nus sur substrats céramiques.
En revanche, l’ensemble HONEYWELL-BULL-NEC.faisait
sens pour se lancer dans un choix technologique propriétaire utilisée également
dans les grands systèmes DPS8 développés par HONEYWELL. Par ailleurs, NEC nous
apportait, grâce à sa division semi-conducteurs, l’approvisionnement des
circuits intégrés CML déjà fournis à NTT Pour résumer très succinctement, le couple
CML/Micropackaging présentait les atouts suivants : Gain en volume d’un facteur 10 Accroissement de puissance d’un facteur 3 Meilleur refroidissement des jonctions par la suppression du
boîtier très mauvais conducteur thermique et de surcroît très coûteux
Interface privilégiée avec le fournisseur Très haut niveau d’automatisation en partant de la tranche
de silicium (wafer)
Les circuits SSI/MSI se
présentaient sur un ruban de 35mm Le premier niveau de
connexion était un substrat en céramique de 2 pouces par 2 pouces, utilisant des
connexions en films épais (encre sérigraphiée), permettant de regrouper de 1000
à 1500 portes logiques. Il préfigure le début de petits VLSI. La plaque circuit imprimé
SP32, 8 couches d’interconnexion, pouvait recevoir jusqu’à 9 substrats.
Elle était enfichée dans un
fond de panier (back panel) de 16 couches par l’intermédiaire d’un
connecteur BULL, à ruban, qui assurait une impédance contrôlée entre les
différents circuits. La mémoire vive utilisait
des boîtiers DRAM de 64 K bits montés sur des cartes SP25 logées dans un panier
mémoire. La mise au point reprenait
les techniques utilisées pour le L64 enrichies de tests capacitifs et de bits
patterns spécifiques pour les substrats équipés. Les substrats contenaient en
outre, dans leur version mise au point, des couches supplémentaires et des plots
utilisables pour la modification (couches de réparation). Un concept de cartes à
fenêtres a été développé pour l’observation des signaux logiques aux bornes des
chips et pour permettre les modifications par straps et coupures.
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64/60 sous-système central et console
Level 64
La technologie de commutation choisie a
été la TTL, un standard de l’industrie.
d'abord de 1K bits
Lithographie grossie d’un chip DRAM 1Kbit ( 1974)
Intérieur du boîtier d'un chip DRAM 1Kbit(1974)
Plaque mémoire SP10 du système L64, équipée de chips DRAM de 1
Kbit. (1974)
Lithographie agrandie d’un chip DRAM 4Kbit (L64
1976)
Intérieur du boîtier DIL DRAM 4K bit (L64 1976)
Plaque mémoire SP10 du système L64, équipée de chips DRAM de 4
Kbit. (1976)
En bleu : Connecteur SC1 à lyres 88 plots
En rouge : Connecteur
24 plots pour Internal External Cabling
Au fond: Bande d’usinage en
continu des contacts/ Lyres en bronze phosphoreux. Nota : La réalisation de
l’outil de découpe a permis à un maître outilleur de Bull Anjou de se voir
décerner en 1967 le titre de meilleur ouvrier de France.
Maquette montrant, en coupe, l’assemblage SP10. du système L64
(1974)
« Card Cage » SP10 montrant le mixage de cartes SP10 simple et
double format. (1968)
Il m’est impossible, compte tenu du temps, de détailler les forces et
les faiblesses du couple CML/Micropackaging par rapport au couple ECL/Boîtiers
sur circuit imprimé.
Substrat micropackaging complètement équipé avant soudure sur
plaque SP32.
Carte SP32 micropackaging équipée de 9
substrats.
Le DPS-7000 Ares
-
vue générale du système Ares en version biprocesseur avec trois unités de disques. (1985) |
Le premier maillon de la ligne
DPS7000 fut le système ARES d’une puissance processeur de 1 Mip/s.
|
L’évolution technologique nous imposait pratiquement d’entrer dans l’intimité du silicium, c'est-à-dire de se donner les moyens de concevoir des chips à haut niveau d’intégration.
Le choix technologique était donc celui du choix du process qui allait devenir le futur standard de l’industrie !
A l’époque, en 1983, le débat se situait entre le
NMOS et le CMOS.
Le NMOS était plus mature, mais le CMOS plus prometteur. Le
CMOS fut choisi.
Un second choix très difficile fut celui de la méthodologie de développement : Maquettage « Hardware » ou simulation « Software » ?
La simulation « Software» fut choisie. Nous en reparlerons tout à l’heure avec le Développement Assisté.
Avec ces deux choix fondamentaux, nous sommes entrés dans le cercle vertueux :
C’est ainsi que pour ARES:
Le DPS-7000 Auriga 1
Pour AURIGA1 en 1990:
Le DPS-7000 Artemis 2
Pour ARTEMIS2 en 1996:
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Le projet DIANE avec le DPS7/XTA
Le processeur est le chip Intel
« XEON »,
Le packaging et la construction sont du type standard PC
Il n’y a plus de dispute chez BULL pour les choix
technologiques matériel puisque tout est standard de l’industrie.
La parole
est dorénavant aux architectes systèmes et aux développeurs de logiciels, tout
en maintenant la capacité de dialogue avec les fournisseurs de
micro-processeurs.
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Le Développement Assisté par ordinateur : le DA.
La qualité du travail sortant des mains d’un artiste
ou d’un artisan ou d’un ouvrier dépend à la fois de son habilité et de la
qualité de ses outils.
Avec les technologies modernes ce constat reste
valable.
L’outil conserve son rôle primordial, à cela près,
qu’il a changé de nature et de destination.
L’outil a changé sa nature
matérielle pour devenir « logiciel » et constitué le développement
assisté par ordinateur.
En même temps, l’outil a perdu son rôle d’aide
individuelle pour devenir collectif et communiquant. Il a adjoint à sa fonction
de réalisateur celle de coordinateur d’équipe.
Le DA, durant l’épopée GCOS7, a toujours été un
auxiliaire précieux dans la maîtrise de la complexité.
Au fur et à mesure de
l’évolution vers l’intégration, les investissements en outils et en compétences
DA ont été de plus en plus importants.
Dans l’histoire technologique de GCOS7, on pourrait définir deux étapes majeures caractérisées par le fait que la technologie utilisée, permet ou ne permet pas les modifications de la logique sur machine.
La période 1974-1987 permettait les modifications sur machine en cours de mise au point.
Dés 1987, on entre dans l’ère du VLSI, la modification sur machine n’est plus possible. On ne peut pas accéder aux circuits enfouis dans le silicium : le metteur au point est aveugle !
De 1974 à 1987, c’est l’époque du prototypage, de la mise au point de la logique sur machine et de l’assistance progressive du logiciel au développement.
L’implantation du P7, plaques et fonds de paniers, a
été entièrement réalisée manuellement.
Je me souviens avoir recruté plus de
cent personnes, de tous horizons, pour faire face à toutes les tâches
d’implantation.
Pour la gamme DPS7, l’implantation et le tracé des plaques et des substrats , les séquences de test ainsi que le contrôle automatique des règles technologiques ont été entièrement automatisées.
A partir de 1987, la technologie utilisée ne permet
plus les modifications sur machine.
La logique du processeur est entièrement
« fondue » dans le silicium.
Nous sommes condamnés au zéro défaut ! Dans le
cas contraire, l’impact sur le budget alloué ainsi que sur le planning serait
insupportable.
Il n’y a plus de prototypage possible : la machine doit
marcher du premier coup !
Le pari était considérable, le risque immense… mais contrôlé.
Chaque ingénieur logicien avait son terminal connecté
au DPS8 biprocesseur qui le mettait en relation avec tous ses autres collègues
et assurait une simulation globale.
Les jobs de simulation étaient lancés la
nuit, depuis des Minitels installés aux domiciles des développeurs. Chaque
ingénieur développait ainsi son VLSI dans un environnement virtuel convivial.
Ainsi avant toute fabrication de VLSI et toute réalisation physique du système, les concepteurs étaient surs que le système d’exploitation tournait correctement, que les règles technologiques ainsi que les exigences du fondeur relatives à son process étaient respectées.
Naturellement tous les supports nécessaires à la fabrication étaient générés automatiquement par ordinateur:
Le pari a été gagné sur ARES et, bien évidemment la
méthode a été reprise et améliorée pour les systèmes suivants : AURIGA1,
AURIGA2, ARTEMIS…
Elle a contribué à construire ce cercle vertueux dont je
vous parlais précédemment.
BULL s’était dotée dés 1987 d’un savoir-faire que INTEL n’a atteint que vers la fin des années 90 !
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L’industrialisation.
Je vais aborder maintenant, rapidement, les grandes
phases de l’évolution de notre outil de fabrication: l’établissement industriel
d’Angers.
Il est évident que les choix technologiques faits en amont ont
profondément changé les moyens et les savoir-faire d’Angers ;
En résumé,
on peut dire que GCOS7 a fait passer Angers d’une culture deuxième source à une
culture première source.
Les processus industriels mis en oeuvre par
l’établissement d’Angers pour la fabrication des autres systèmes commercialisés
par BULL permettaient de fabriquer la gamme L64 dans de bonnes conditions.
Il
est à noter qu’Angers avait la charge de fabriquer et de tester tous les
sous-ensembles constitutifs du système :
La ligne DPS7 a nécessité la mise en place de nouveaux processus industriels spécifiques au choix du couple CML/Micropackaging.
Il a fallu construire une unité spéciale dans l’usine dédiée à la fabrication des substrats micropack.
L’usine a fait ses premières incursions dans l’intimité des wafers silicium.
La maîtrise de la fabrication d’interconnexions par film épais (Sérigraphie).
La soudure à plat par re-fusion (reflow soldering) qui préfigurait la future technique CMS (Composants Montés en Surface).
Il a fallu développer des compétences nouvelles pour dialoguer avec les fabricants de circuits intégrés (interface wafer).
Cette étape, qui a été difficile, a bien préparé l’usine à l’étape suivante : ARES.
Avec la gamme DPS7000, les VLSI ont remplacé le premier niveau de connexion réalisé par les substrats micropack.
L’usine a capitalisé sur les process industriels et logistiques développés dans le cadre du DPS7.
Par contre, l’usine a du acquérir la maîtrise de
l’encapsulation des chips VLSI ainsi que le report à plat des composants sur les
circuits imprimés par la technique CMS.
Avec ARES, le programme Qualité a été
scrupuleusement appliqué.
Les relations entre les équipes d’études et la
fabrication ont été excellentes sous l’impulsion du Symposium tenu à Caen en Mai
1985.
La technique du déverminage avant livraison en clientèle a été
généralisée (« Burn-in »)
Cependant, l’avènement des VLSI a réduit
considérablement le nombre d’heures usine nécessaires à la réalisation d’un
système, ce qui a obligé à une ré-orientation des surcapacités industrielles et
l’arrêt de certains secteurs de l’usine : tôlerie, peinture,
câbles…
Avec la gamme DPS7/XTA, le phénomène n’a fait que s’aggraver.
Je dirai pour conclure cette trop rapide
rétrospective:
Quand j’ai reçu, au nom de la compagnie BULL, le
trophée de l’innovation 1988 « Albert Costa de Beauregard » pour le
projet Ares DPS7000, j’avais déclaré que ce projet était « l’Enfant de l’audace ».
J’ose
dire aujourd’hui que l’ensemble du projet GCOS7 est devenu un exemple majeur de
l’audace.
Au-delà de ce survol trop rapide et quelque peu surréaliste,
l’épopée GCOS7 est et restera une immense aventure technique et humaine.
Une aventure internationale et planétaire
car : ‘’le soleil ne se couchait jamais sur les technologies de la
famille GCOS7’’.
Un choc, puis une alliance des cultures techniques
américaines, japonaises et européennes.
Ce fut toujours un enrichissement technique et
humain.
Aux équipes GCOS7 la fierté d’avoir été en phase avec
l’évolution technologique et même d’avoir été leader à certaines époques.
Je vais vous faire une confidence :
l y a
trente ans, j’ai reçu dans mon bureau un jeune homme décidé qui m’a raconté son
aventure. Il s’appelait Roland MORENO.
« Je reviens, me dit-il, des
Etats-Unis où j’étais il y a quelques jours chez HARRIS Semi-conducteurs. Je
leur ai demandé leur aide pour insérer une puce mémoire dans l’épaisseur d’une
carte en plastique, type carte de crédit. Savez-vous ce qu’ils m’ont
répondu ? Allez donc voir les équipes BULL de Saint OUEN, ils savent déjà
faire cela. Je viens donc vous voir pour vous demander si vous savez faire
cela »
Je lui ai confirmé notre savoir-faire et c’est ainsi que nous
avons réalisé chez BULL, les premiers prototypes de cartes à puce grâce à la
technologie du micropackaging. Sans le savoir, vous avez tous du
micropackaging dans vos poches !
GCOS7 a profondément modifié et même bouleversé nos organisations.
Nous sommes passé en vingt ans d’une structure taylorienne à un fonctionnement en mode projet.
Des métiers entiers : dessinateurs, implanteurs,
mécaniciens, câbleurs de prototypes, soudeuses, tôliers, peintres, metteurs au
point de prototypes…, ont disparu de chez BULL, remplacés par des automates ou
sous-traités à l’extérieur.
La convergence de l’irrésistible montée en
puissance de l’intégration dans le silicium et la mise en place du programme
Qualité chez BULL, nous ont contraints à développer des outils puissants d’aide
à la conception et à la fabrication.
Ces outils nous ont permis de manager de façon
contrôlée le risque et la complexité d’un tel projet.
Je n’exagère pas en
vous disant qu’il existait peu d’équipes dans le monde de l’informatique des
années 85, capables de conduire avec succès des projets du calibre d’ARES ou
d’AURIGA.
Les produits standard à la disposition de notre
industrie sont actuellement de plus en plus puissants et de moins en moins
chers. C’est pourquoi porter GCOS7 sur les microprocesseurs du commerce était
incontournable.
Est-il venu le temps chez BULL où le métier de
concepteur de VLSI va disparaître ?
Heureusement, il y a encore
l’architecture des systèmes et la conception de logiciels. Ainsi va la
vie !
Et comme dirait Jean d’ORMESSON : « C’était bien »
Je vous remercie de votre attention.
Christian JOLY