Le
contexte de la fusion Bull / General Electric (1964-70)
Limites de
l’exposé.
L’objet des conférences de ce jour est GCOS 7 ,
dont Bull s’est occupé dès 1967 lors de la longue marche qui a amené à la
réalisation d’ordinateurs moyens dotés de ce système
d’exploitation.
Je me bornerai donc à rappeler les événements et
les affrontements qui ont pu freiner ou permettre l’émergence de systèmes moyens
à la Direction des Etudes de Bull. Je ne parlerai donc pas des études de
périphériques, ni des études de petits systèmes qui ont pourtant été dans cette
période 1964-70 aussi importants pour le devenir de Bull que la filière des
systèmes moyens.
Je ne parlerai pas non plus de tous les
rebondissements de l’ « affaire Bull » qui de la mi 63 jusqu’au début de 1964
ont mis à rude épreuve les nerfs de tout le personnel de Bull, et ont vu
s’affronter dans les milieux gouvernementaux, financiers et industriels les
tenants d’une solution « nationale » et les partisans d’un accord avec
GE.
Passons d’abord en revue les positions des
protagonistes de cette aventure en 1964.
1. Les protagonistes au moment des
accords.
General Electric
(...et Olivetti).
General Electric a fait une mise modérée dans le
domaine de l’informatique, dont le plus récent aboutissement est l’ordinateur
moyen GE 400. GE commence à comprendre que le jeu industriel dans ce domaine est
difficile à mener à partir du seul marché américain. Ce que GE cherche d’abord
en Europe, c’est un réseau commercial. Des pourparlers ont été menés sur l’année
1963 avec Bull, mais aussi avec Olivetti en Italie. Lorsque (à la mi 1963) le
Gouvernement Français s’est opposé à la pénétration de GE dans le capital de
Bull, les négociations avec Olivetti ont été vigoureusement activées et l’accord
Olivetti / GE est déjà signé lorsque GE est enfin autorisé par le Gouvernement
Français à s’associer à Bull.
Dans les premiers pourparlers techniques Olivetti
/ GE, GE découvre à Olivetti un potentiel non négligeable dans le domaine des
petits systèmes et Olivetti s’est fait allouer par GE la mission de couvrir
techniquement ce domaine « en dessous du GE 400 ». Ceci pèsera lourd dans toute
la période 1964-70, car Olivetti devenue Olivetti-GE verra dans Bull l’ennemi principal à son
développement technique et essaiera (souvent avec succès, comme nous le verrons)
de défendre son territoire.
Bull.
Bull a vécu la grande aventure du Gamma 60, qui
lui a certainement permis de développer ses capacités techniques, mais a
tellement absorbé l’ensemble de son potentiel que les attaques de la concurrence
dans les gammes basses et moyennes sont bien difficiles à contrer. Pour la
partie basse, la réalisation du Gamma 10 apporte une réponse possible, mais
au-dessus il a fallu faire appel à une licence RCA (le Gamma 30), car les études
de machines moyennes de gestion ne peuvent déboucher à
temps.
Ces études de gestion ont été menées à un moment
où la notion de « gamme d’ordinateurs » commence à émerger et plusieurs plans se
sont succédés, avec pour certains une recherche de financement partiel par la
puissance publique. (Projet des « trois axes », avec 3 machines
étagées).
Parallèlement, dans la même période 1961-64 ont
été menées des études dans le domaine du calcul scientifique (S 30) et de
l’automatisme (M 40).
Les études de technologie et d’implantation ont
été menées activement en parallèle et attendent impatiemment qu’un projet
concret vienne utiliser la « coulotte technologique » (expression de C.Joly)
.
C’est la M 40 qui est la première à entrer en
réalisation (autorisation du programme en Octobre 63) et, au moment des accords,
la réalisation du prototype est déjà bien avancée. L’architecte de la M 40 est
Georges Lepicard.
Découpez Bull suivant le pointillé BGE /
SIBGE.
Que dire de l’état d’esprit des équipes Bull au
moment des accords ?
Le commercial de Bull, inquiet des manques incontestables du
catalogue de produits attend beaucoup des produits GE et est plutôt satisfait
des accords.
Les équipes techniques de Bull ont été très inquiètes tout au long des
négociations: elles ont craint d’être lâchées par le commercial et de se
retrouver seules sans réseau pour écouler leurs produits. L’embauche par GE de
plusieurs grands responsables commerciaux avant la signature des accords a été
pour ces équipes techniques un très mauvais signal.
Les cadres techniques de Bull ont exprimé lors
des négociations du début 1964 les contraintes qui, à leur avis, devraient être
respectées par la solution choisie, quelle qu’elle soit (solution nationale ou
GE): maintien de l’union du
potentiel technique et du potentiel commercial notamment. Cette thèse a été
présentée à de multiples responsables gouvernementaux et financiers.
La solution organisationnelle qui a permis la
conclusion des accords satisfait en gros à cette
contrainte:
- transformer la Compagnie des Machines Bull en
holding.
- créer une société commerciale BGE 51%
américaine (GE), 49% française (CMB),
- créer une société industrielle SIBGE 49%
américaine, 51% française.
- même Président et même Directeur Général pour
les deux sociétés.
La présidence provisoire est confiée à Roger
Schulz (de la Banque de Paris et des Pays-Bas) qui a imaginé la solution des
deux sociétés.
Après les accords, les équipes techniques se
rassurent en partie en tablant sur l’ampleur du potentiel financier de GE et sur
la possibilité d’apports technologiques intéressants...
Le Gouvernement Français.
Certains aspects des accords Bull / GE vont jouer
un rôle important dans la survie d’un potentiel Moyens Systèmes à
Bull:
Une clause des accords, sur laquelle le
gouvernement a pesé, comporte l’engagement de GE de maintenir un potentiel
technique Bull « substantiel ».
Mais, après la conclusion des accords, une assez
grande diversité d’opinions se fait jour au sein des instances gouvernementales.
En caricaturant un peu, on peut distinguer:
- Ceux qui se sentent floués par Bull et par GE,
et pensent déjà à une société nationale qui se fera ex nihilo, en débauchant
sans scrupule dans les troupes Bull et envisageant sans états d’âme la
destruction de Bull.
- Ceux qui ne désespèrent pas de procéder au «
découpage suivant le pointillé » et voudraient récupérer intact le potentiel
technique constitué par SIBGE, et minimisent complètement l’importance du réseau
BGE.
- Ceux qui ne veulent pas voir casser Bull, car
ils sont sensibles à l’argument de Bull « seul potentiel français capable de
concevoir, fabriquer, commercialiser des ordinateurs, dans des conditions
économiques saines »; ils sont aussi sensibles au poids de Bull dans l’industrie
française des composants.
2. Premiers
contacts Bull / General Electric. Mai à Novembre
1964.
Evaluation technique de Bull (Mai
1964).
La première équipe technique de GE arrive le 14
Mai 1964. Son chef (Bob Johnson) est très ouvert et montre beaucoup de
compétence technique et d’intérêt pour les études Bull. Il repart au bout d’une
dizaine de jours en laissant quelques autres techniciens de GE qui sont loin
d’avoir sa largeur de vues. Hélas à la mi juin Johnson m’écrit pour me signaler
qu’il quitte GE pour prendre la Direction de la R et D
d’Univac...
Nos demandes de rendre visite à Phoenix pour
essayer de nous coordonner sont rejetées.
Visite du Docteur Rader à Bull. (Juillet
1964).
Le Directeur de la Division Systèmes
d’Information de GE, le Docteur Rader, vient faire une première visite en
Juillet. Bien que par la suite nos rapports se soient grandement améliorés,
notre premier entretien dans le bureau de Roger Schulz se passe très mal: le
Docteur Rader dit que pour l’instant il n’est capable de prendre qu’une décision
technique : l’arrêt immédiat de la M 40, « en duplication évidente avec le GE
400 ». Je réagis assez violemment en faisant valoir l’existence de quelque
contrats importants (notamment la Raffinerie de Feyzin) et en montrant que la
mise au point du prototype est presque terminée. Rader réagit à son tour encore
plus violemment en décidant de faire faire une étude du projet par des gens de
Phoenix et concluant : « si vous m’avez trompé, considérez-vous comme viré
».
Par chance, le déroulement des « opels » (test
logique des circuits), planifié pour plusieurs semaines se fit en 3 jours, ce
qui redora le blason de Bull, et contribua au maintien d"un potentiel Moyens
Systèmes...
Arrivée du nouveau Management de Bull. (Eté
1964)
Pendant l’été 1964, arrivent le nouveau Président
Directeur Général de BGE et SIBGE, Henri Desbruères, et le Directeur Général
américain, Brainard Fancher.
Fancher amène dans ses valises la première vague
des nombreux «conseillers», dont il aimait s’entourer, au grand dam des équipes
Bull, harcelées par des nuées de mouches du coche pas toujours très
efficaces.
L’un de ces conseillers, le Professeur Dimitri Chorafas, me
déclare qu’il y a au sein de GE des opinions diverses sur l’utilisation du
potentiel technique de Bull
:
- le plan initial de GE est de simplifier les
problèmes de coordination en ne laissant à Bull que les études de matériels à
carte perforée et peut-être d’imprimantes, et en supprimant toutes les études
électroniques sauf le support à la fabrication. Ceci permettrait de ramener les
études Bull (près de 1800 personnes) à un effectif de 250 à 350
personnes.
- d’autres, minoritaires, pensent qu’il faut se
donner le temps de voir s’il n’y a pas quelques éléments d’études électroniques
à sauvegarder.
Visite technique de Bull à Phoenix.
(Novembre 1964)
Une première visite technique de Bull à Phoenix
est autorisée en Novembre 1964.
Les présentations sont assez complètes, mais
aucune discussion de rapprochement des activités systèmes n’a lieu. Aucun de nos
interlocuteurs ne semble attendre quoi que ce soit de Bull. C’est seulement dans
le domaine des technologies de circuits électroniques que le responsable de ces
études à Phoenix (John Weil) déclare avec force qu’il faut nommer « un czar des
technologies », « perhaps myself » ajoute-t-il en toute
modestie.
Des échanges de visites techniques analogues ont
lieu fin Novembre avec Olivetti.
3. Le projet GE 140. (Octobre 1964 à
Décembre 1966)
Les avant projets a et b.
(Octobre 1964 à Janvier 1965)
Le 24 Novembre 1964 Rader vient en Europe et
demande une étude préliminaire pour une ou des machines couvrant la couche de
clientèle juste en dessous du GE 400.
Bull a la suite de toutes les cogitations sur les
machines moyennes de gestion a un plan pour deux machines qui pourraient jouer
ce rôle: les deux projets étaient dénommés alpha et bêta .
Début Décembre survient un épisode qui va ouvrir
la longue lutte entre Bull et Olivetti pour un partage des responsabilités sur
les machines petites et moyennes.
Le 3 et le 4 Décembre, Desbruères et Fancher vont
à Milan pour une réunion avec Rader et Ottorino Beltrami, le Directeur Général
d’OGE (nouveau nom d’Olivetti). Celui-ci est depuis longtemps le patron
d’Olivetti; il connaît bien la profession et s’appuie sur une petite équipe de
managers très soudés. Desbruères et Fancher sont tout nouveaux dans le métier,
et, bien que mis en garde par les techniciens de Bull, sont loin de maîtriser
les contraintes de technologie, de structure des machines et de software à
respecter pour deux machines d’une gamme.
Le 5 Décembre, nous apprenons la décision: BGE
fera bêta et OGE alpha .Les semaines qui suivent sont utilisées à des réunions
de coordination technique BGE / OGE où OGE se plie peu aux contraintes de
compatibilité de gamme que BGE souhaiterait .
Dès la fin du mois de Janvier, le programme est
présenté à M. Cross, patron de Rader . Des dates de première livraison sont même
avancées : alpha Juin 1966 et bêta Septembre 1966. OGE obtient de GE la
suppression de la contrainte d’homogénéité technologique, « le risque de la
nouvelle technologie TC3 de BGE ne pouvant être pris sur les deux machines »
!
Développements du 140. (Janvier à Décembre
1968)
En Mars les noms des projets alpha et bêta sont
changés en GE 135 et GE 145.
La technologie du GE 145 est prévue en circuits
discrets modulaires (« mini-modules ») et une implantation ultérieure en
circuits intégrés est prévue sous le nom de GE 145B.
En Juillet, nouveau changement de nom: le GE 145
devient GE 140, le nom 145 étant réservé pour une éventuelle machine
scientifique qui en serait dérivée.
Mais une ombre importante apparaît : Phoenix
n’annoncera pas le GE 140, dont les seuls débouchés commerciaux seront
européens. Phoenix veut faire durer le GE 400, redoute que le GE 140 ne vienne
gêner les ventes de GE 400. Pour les Etats-Unis Phoenix décide donc de ne
pas vendre le 140; pour l’Europe,
Phoenix cherche même à nous détourner du GE 140 en allant jusqu’à proposer le
financement à BGE d’une étude de moyen calculateur scientifique dénommé Q1.
En parallèle OGE cherche à se faire autoriser un
GE 135 « pour le marché italien ».
Un deuxième souci résulte d’inquiétudes sur la
disponibilité en temps voulu du software. Le potentiel d’études de BGE est
déséquilibré: trop peu de personnel software, et impossibilité
de recruter en nombre suffisant, à cause des limitations budgétaires. Quelques
conversions d’ingénieurs hardware en hommes de software atténuent un peu ce
déséquilibre.
D’autres perturbations sur le programme viennent
à la fin 1965 : l’objectif 140 éclate en 4 sous-objectifs : Petit 140, avec une
version scientifique 141, Grand 150, avec une version scientifique 151.
L’avancement du projet 140 permet d’amortir tant bien que mal ces
oscillations.
Le GE 140 est présenté aux commerciaux le 3
Février 1966 et à la presse le 8 Février. En Mai, Phoenix envisage à nouveau la
vente du 140 aux Etats-Unis. Une présentation au SICOB est prévue en
Septembre.
Annulation du 140. (2 Décembre
1966)
C’est dans ce climat redevenu plus clément que
des signaux négatifs arrivent des Etats-Unis en Septembre 1966: GE a de grosses
difficultés dans plusieurs groupes, se traduisant par des prévisions de pertes
inquiétantes. Tous les départements sont priés de serrer les ceintures et de
réduire leurs demandes
d’investissements. Toute activité autour du 140 est stoppée à OGE et à Phoenix.
Rader quitte GE en Septembre et est remplacé par Stan
Smith.
M.Cross convoque une réunion de management à
Crotonville du 28 Novembre au 2 Décembre 1966. Fancher y assiste, accompagné de
Marc Chargueraud pour le commercial , de Bruno Leclerc et moi-même pour le
technique.
Dès le début, Cross écrit au tableau les deux
phrases un peu simplistes qui caractérisaient à l’époque les efforts de
réflexion stratégique de GE:
« What do we
have for sure ?
»
« Where do
we go from there ? »
Le brainstorming de deux jours (et deux nuits
!...) qui suit doit clairement aboutir à une réduction drastique de tous les
programmes d’études. Comme on pouvait s’y attendre, le programme 140 reçoit les
assauts combinés de Phoenix et d’OGE. Mais assez curieusement, la situation
bascule au cours du troisième jour, et les recommandations faites en commun à
Cross par les trois délégations concluent à la poursuite du programme
140.
Cross verdit lors de la présentation, va au
tableau et écrit:
« 100 000 000 $ », et ajoute : « chacun des trois
groupes Nucléaire, Moteurs d’avions et Informatique a perdu en 1966 100 000 000
$. Nous ne pouvons continuer; le programme 140 est annulé.
»
Conséquences de
l’annulation.
L’annulation est perçue comme une catastrophe par
les équipes de BGE, aussi bien techniques que commerciales. La machine avait
reçu un bon accueil au SICOB et une quarantaine de machines étaient déjà vendues
au moment de l’annulation.
Un certain nombre d’ingénieurs quittent BGE pour
rejoindre les structures industrielles du Plan Calcul (CII). Dès le 5 Janvier
1967, le Délégué à l’Informatique, Robert Galley, explore la possibilité de
cession d’une licence du 140 à la CII.
Ce projet n’aboutira pas, mais il est certain que
le transfert de know-how réalisé par les ingénieurs quittant BGE pour CII a
facilité la réalisation du CII IRIS 50.
En revanche, la société tchécoslovaque Tesla
acquiert en 1967 la licence du 140, malgré de nombreuses actions de la CII pour
gêner cette transaction. Les machines 140 déjà réalisées, ainsi que des kits de
pièces détachées pour plusieurs dizaines de machines sont vendus à Tesla. En
outre, Tesla réalisera de 1969 à 1972 quelques centaines de machines.
Le chiffre d’affaires réalisé sur cette vente de
licence du 140 vient à un moment critique alléger les charges techniques de
SIBGE et permet de limiter les réductions drastiques du potentiel d’études qui
auraient eu lieu dans cette période de vaches maigres.
4. Du Projet Charlie à l’ Advanced Product
Line. (1967 à 1970)
Tout en refusant à court terme des
investissements notables en informatique, GE est bien consciente que pour rester
dans l’informatique et être le « undisputed number two » qui lui semble le seul
objectif digne d’intérêt, il faut aller vers une nouvelle ligne de produits.
Mais dès ce moment, deux écoles s’affrontent au sommet de
GE:
- nous n’arrivons pas à maîtriser cette étrange
informatique; retirons-nous sans trop tarder.
- nous ne pouvons être absent de ce qui s’annonce
comme la branche majeure de la fin du siècle; quoi qu’il en coûte, il faut
avancer.
Il est donc décidé de lancer le projet Charlie,
qui doit explorer tous les aspects techniques, commerciaux et financiers du
développement d’une ligne de produits assurant sur la décennie 1970 la
possibilité pour GE de conquérir la position de numéro deux de l’industrie
informatique.
Projet Charlie. Travaux préliminaires à BGE.
(Janvier à Mai 1967).
Dans un premier temps, j’ai été chargé d’animer
avec l’aide de G.Lepicard un groupe d’une vingtaine de personnes, comprenant
quelques américains de Phoenix; l’objectif initial était limité à la préparation
de descriptions techniques (hardware et software) d’une gamme de machines
moyennes susceptibles d’attaquer avec succès les machines IBM de la série
360.
Le groupe d’étude a défini pas mal d’options
d’architecture qui ont subsisté jusqu’au DPS 7.
Réorganisation de la Division Informatique
de GE. (Mai 1967).
Au début
Mai 1967, l’Information Systems Division devient Information Systems
Group, articulée sur trois divisions qui deviendront dans le courant
1967:
ISED aux Etats-Unis
IISD pour regrouper BGE et OGE, dirigée par Art
Peltosalo, à Paris.
ASD pour la coordination mondiale, dirigée au
début par Len Maier.
Plusieurs dirigeants quittent le groupe
(notamment Van Aken, patron de Phoenix), d’autres arrivent (notamment John
Haanstra, ancien d’IBM, nommé à la stratégie technique du groupe, J.P.Brulé en Août à BGE). En Octobre
Fancher quitte Bull et est remplacé par W.Smart.
Une présentation du nouveau groupe au conseil
d’administration de GE a lieu les 29 et 30 Juin à Phoenix. Len Maier me demande
d’y présenter les orientations de GE vers une nouvelle ligne de produits,
présentation qui suscite plusieurs questions des administrateurs orientées sur
la politique du Général de Gaulle et aucune sur la nouvelle ligne de
produits...
Simultanément une contrainte budgétaire stricte
est édictée: les vaches maigres vont durer jusqu’à 1970 et il n’est pas question
de déclencher de grands investissements jusque là.
« Là où il n’y a plus d’argent, le diable perd
ses droits... »
Fin de l’étude préliminaire. (Mai à Décembre
1967).
Le projet Charlie progresse néanmoins jusqu’à la fin de
l’année, en bénéficiant des suggestions apportées à partir d’Août par
J.Haanstra.
En Novembre 1967 se tient un « Engineering
Council » qui décide que la nouvelle gamme de produits GE sera construite sur
les travaux du projet Charlie .
La gamme de produits L 178. (Janvier 1968 à
Novembre 1968).
Un chef de projet, Eugen R.White, est nommé et
rattaché à J.Haanstra; il donne aux trois machines prévues par le plan les noms
de:
- E120, petite machine 16 bits affectée à OGE,
devenue GEISI.
- R370, confiée à BGE.
- W108 confiée à Phoenix.
Je n’entrerai pas dans le détail des conflits BGE
/ GEISI suscités par la définition du centrage relatif (en performance et en
coût) de E120 et R178.
Je n’entrerai pas non plus dans le détail des
options prises dans les différents domaines techniques (architecture hardware et
software, technologie, interfaces pour périphériques...).
Pour un exposé très clair sur ces points, je vous
renvoie au site de Jean Bellec :
http://perso.wanadoo.fr/jeanbellec/computers/64_dps_origin.htm.
Plusieurs difficultés majeures apparaissent à
l’automne 1968:
- La technologie prévue (CML) risque de ne pas
être prête à temps, et il faut revenir pour la R370 à une technologie mieux
maîtrisée (TTL).
- Les principes d’implantation poussés par
J.Haanstra (modules SOMA) aboutissent à une trop grande diversité des
modules.
- J.Haanstra se voit reprocher de trop concentrer
ses efforts sur la technique (et spécialement les unités centrales) et de ne pas
assez penser au projet global, dans ses aspects marketing,
financiers...
GE embauche alors (Novembre 1968) Richard Bloch
(un ancien d’Honeywell) étrange personnage faisant alterner sur un même sujet
les déclarations enthousiastes et les critiques les plus violentes. J.Haanstra
devient Directeur des études de Phoenix. Peu de temps après (Janvier 1969) le
Directeur de l’Information Systems Group Stan Smith est remplacé par Hilly
Paige, aux compétences en informatique des plus limitées et aux certitudes
mouvantes.
Le plan de l’Advanced Product Line.
(Décembre 1968 à Juillet 1969).
R.Bloch est chargé de préparer un plan d’ensemble
pour toute la durée de vie de la nouvelle gamme de produits.
Il provoque un nombre incalculable de réunions
des deux côtés de l’Atlantique, avec souvent des préavis de 24 heures. Il est en
butte aux attaques de Phoenix et de
GEISI :
- Phoenix a regroupé les activités Moyens
Systèmes (400) et Grands Systèmes (600) ne veut pas entendre parler d’APL, se
concentre sur le GE600 et souhaite lorsque le besoin s’en fera sentir
réimplanter le GE400 en circuits intégrés. Phoenix va même (Avril 1969) jusqu’à
suggérer au groupe d’abandonner BGE et de se concentrer sur le marché US. Les
vives tensions entre R.Bloch et J.Haanstra compliquent encore les tentatives de
coordination de R.Bloch.
- O.Beltrami (GEISI) est tout aussi opposé à
l’APL et se borne à torpiller tout projet nouveau qui pourrait menacer le marché
des matériels GEISI actuels (ligne GE100).
Il est obnubilé par la guerre qu’il entretient avec BGE sur deux
frontières:
- Protéger le bas de son domaine contre la ligne GE 50 de
BGE.
- Protéger le haut contre le
projet BGE de machine moyenne.
R.Bloch me convoque le 3 Février pour un «
déjeuner de travail » à New-York le lendemain 4 Février.
Face aux difficultés d’intégration de Phoenix et
aux conflits BGE / OGE , il veut créer un management centralisé des études
APL (idée qu’il reprendra plus
tard). Il me demande de prendre immédiatement ce poste, assisté de 4 managers
(Systèmes, Software, Program Planning, Business Planning). J’ai toutes les
peines du monde à éviter cette planche bien savonneuse...
Les dénominations des produits de la gamme
changent deux fois en quelques mois:
- 710, 720, 730, 740 (Le 730 est à peu près le
R370, à faire par BGE).
- A, B, C, D, E, F. Les discussions avec GEISI
sont du genre :
« BGE devrait faire un D / E plutôt qu’un C / D
»
R.Bloch n’est que mollement soutenu par son
patron H.Paige. Fin février H.Paige déclare: « nous avons un beau plan, mais pas
les ressources pour le faire; il faut tenir avec les produits actuels, et BGE
doit étudier un D, mais tranquillement (on a quiet basis...)». Au même moment,
R.Bloch présente un plan financier sur toute la durée de l’APL, faisant
apparaître des coûts totaux de 3,5 milliards de dollars, une pointe négative
maximale de cash-flow cumulé de 475 millions de dollars et une profitabilité
positive à partir de 1978.
A la mi avril, H.Paige accepte de présenter le
plan APL au Corporate Office, en recommandant de lancer le plan « puting our
full resources on APL ».
Il est cependant clair dès ce moment que
l’ampleur de ce plan excède les engagements que le Président Borch a pris avec
son conseil d’Administration.
Des bruits (recueillis notamment dans une réunion
ECMA / BEMA le 19 Mai aux Bermudes) circulent sur des négociations engagées par
GE pour un éventuel retrait complet de l’informatique.
Toutefois, avant de prendre cette décision de
retrait, GE lance deux actions:
- En Mai 1969, H.Paige demande aux conseils
internes de GE (Tempo) de lancer une évaluation de la
situation.
- R.Bloch est autorisé à lancer avec des
représentants US, BGE et OGE la réalisation d’un plan complet sur une nouvelle
gamme de produits potentiels (APL): cette énorme opération de planification est
le projet Shangri-La.
Shangri-La (Juillet à Octobre
1969).
Le 1er Juillet, une cinquantaine d’ingénieurs des
trois départements, prévenus avec deux petites semaines de préavis,
convergent (avec femme et
enfants...) vers Hollywood-by-the-Sea (située en Floride entre Miami et Fort
Lauderdale).
Les participants permanents comprennent les
principaux responsables (hardware et software) des équipes de conception de la
NPL, mais aussi des responsables des autres lignes de produits, des hommes de
product planning, de marketing...
De nombreux autres participants temporaires sont
convoqués pour apporter leurs lumières sur tel ou tel point non suffisamment
couvert par l’équipe permanente.
La création des différentes équipes d’études,
leur articulation et le recueil de leurs conclusions est décidé par un «Steering Committee » qui réunit chaque
mercredi R.Bloch et les
représentants du management des trois départements. C’est là que se manifestent
le plus clairement les intérêts souvent divergents des trois organisations. Un
événement tragique, la mort de J.Haanstra dans son avion privé lors d’un vol
entre Phoenix et la Floride, vient diminuer le potentiel d’opposition de Phoenix
au projet NPL.
Le 4 Août, j’ai une assez forte altercation avec
R.Bloch: je souhaiterais qu’en parallèle au plan on démarre à BGE des tâches de
détail sur des points déjà suffisamment figés, et qui se trouveront de toutes
façons dans le chemin critique du développement. Bloch s’y oppose totalement:
«il ne faut pas de gel prématuré du plan » . (Heureusement, BGE est à ce moment
en train de se retrouver bénéficiaire, ce qui permet de récupérer un peu de
liberté de mouvement...)
Les équipes techniques connaissent aussi des
tensions, mais un certain niveau de coopération s’y établit; le travail devient
plus productif au début Août et le
« Master Project Plan » qui est le résultat de toute cette activité est loin
d’être ridicule. Il est publié le 24 Octobre, et comporte un plan opérationnel
provisoire détaillé de 90 jours.
Quatre niveaux de machines sont
prévus:
- Niveau A, un très petit ordinateur de gestion
(zone du GE 58 de BGE).
- Niveau B, petite machine à la charge de GEISI,
couvrant aussi la zone préalablement désignée comme Niveau
C.
- Niveau D, moyenne machine à développer par
BGE.
- Niveau E, à développer par Phoenix, avec une
contrainte de compatibilité totale avec le niveau D.
La fabrication de chaque modèle est (au moins au
début) affectée à l’organisation qui l’a étudié.
Une nouveau centre d’études doit être créé à
Bridgeport Connecticut. R.Bloch aura du mal à convaincre les « européens » qu’il
souhaite attirer à Bridgeport...
Le management du programme sera centralisé, avec
autorité financière: les coûts d’études APL ne seront pas inclus aux budgets
individuels 1970 des trois départements.
Retrait de GE et accords avec Honeywell.
(Octobre 1969 à Avril 1970).
A partir du 24 Octobre, commence une période où
les signaux négatifs commencent à apparaître:
- Une grève qui affecte plusieurs groupes de GE a
un impact sur 3 ans évalué à 800 millions de dollars.
- 9 Janvier: Préparer un plan d’actions si l’APL
ne se fait pas.
- 20 Janvier: Phoenix licencie 1200
personnes.
etc...
R.Bloch dans le même temps veut encore y croire
et provoque un taux de réunions analogue au taux de l’année
précédente.
Le 7 Mars nous apprenons que le plan est refusé
par le Corporate Office, mais avec le commentaire suivant : «nous avons besoin
de l’APL, mais un plan différent. Il faut réduire les dépenses d’études APL,
mais le Niveau D est le plus urgent pour tout le groupe, avec une annonce en Mai
1972 et une livraison en Septembre 1973 »..
Le 19 Avril 1970, les accords avec Honeywell sont
annoncés.
C’est là que j’arrêterai mon exposé. En
effet, j’avais décidé à la fin de
1969 de quitter Bull pour aller vers d’autres horizons. La direction des études
exercée pendant 6 ans dans une entreprise en déficit est une position que je ne
recommande à personne et j’éprouvais une certaine
lassitude.
Même
si le travail partagé avec des équipes loyales et dévouées à l’entreprise a
toujours été très gratifiant, ces années restent assombries par la
frustration de voir ce potentiel arrêté à maintes reprises dans son élan par les
contraintes budgétaires mais aussi par des oukases pas toujours judicieux.
Il reste que ces années ont permis de maintenir
le potentiel d'études à un niveau raisonnable, de faire progresser l’aptitude
des équipes d’études dans la maîtrise de leur métier, et de les rendre prêtes à
affronter de nouveaux défis, dans une entreprise enfin profitable et dont la
Direction Générale était enfin confiée
à un excellent connaisseur de notre profession, Jean-Pierre Brulé .
Le 25 Avril 1970, Marc Bourin est gentiment venu m’exposer les dix raisons pour lesquelles je devrais rester à Bull. Je n’ai pas suivi son amical conseil, car je pensais qu’il était tout à fait armé pour me succéder et c’est ce qu’il a démontré.