Pierre CAIN

Octobre 2001

Bull et la bande perforée

Si la Compagnie des Machines Bull est connue de longue date pour ses machines à cartes perforées (le premier Brevet de Fredrik Rosing Bull a été déposé à Oslo en 1919), ses travaux sur les bandes perforées sont très peu cités dans son histoire.

L’excellent article de William Kiéfer " Et si Internet était né chez Bull en 1972 ", paru dans la lettre de l’A.C.S. n° 78 de juin 2000 m’a remis en mémoire les travaux que nous avons faits à partir de 1948.

A cette époque, les machines à cartes perforées, celle de Bull en particulier, sont à leur apogée pour l’exécution des travaux de comptabilité et de la paye dans les moyennes et grandes entreprises, dans la banque et l’assurance, dans la gestion des stocks, etc..

Les cartes perforées constituent l’ensemble des fichiers dits " mécanographiques " en 1950. Ces fichiers sont importants et difficilement transportables d’un lieu à un autre (poids des bacs, sensibilité importante à l’humidité, …). On pense en particulier aux sociétés à succursales, banques, assurances, …

Il paraît évident qu’un moyen de communication et de liaison autre que le téléphone pour la parole et les cartes perforées pour le support matériel serait très utile pour améliorer la communication entre les différentes sites. La Direction de la Compagnie de l’époque en est très consciente.

Il existe de part le monde un réseau de transmission très important : le TELEX. Le transport des informations se fait par câble électrique, il peut se faire par ligne téléphonique mais, en général, si possible, on utilise des lignes dites spécialisées pour résoudre mieux les problèmes de qualité.

Les informations sont perforées sur bande papier à 5 canaux, le standard de l’époque, ce qui permet d’avoir 24 signes différents par " caractère de 5 voies ". Le système fonctionne, déjà, en binaire puisque la machine détecte sur chaque canal (ou " voie ") qu’il y a ou qu’il n’y a pas de trou. Dans le cas du Télex, la lecture se fait en série pour les canaux, puis les caractères (on dirait aujourd’hui 5 bits par caractère).

La transmission se fait à l’aide de MODEM et les impulsions défilent à la vitesse de50 bauds (50 bits/seconde).

Note : dans le code de l’alphabet télégraphique international, on utilise la combinaison dite d’inversion qui amène à 32 combinaisons possibles pour un caractère par appui sur une touche indiquant soit : chiffres + caractères spéciaux ou lettres, tout en conservant la bande à 5 canaux. Elle " prend la place " de la touche minuscules/majuscules inutile.

Disposant de deux outils, les machines Bull pou exécuter les travaux et un système à bande perforée pour la transmission des informations sur un réseau spécialisé, il nous reste à associer ces deux outils, ce que l’on sait parfaitement faire de nos jours, mais qui était loin d’être réalisé il y a 50 ans.

Les différentes recherches et réalisations

Il faut savoir en premier lieu que les téléimprimeurs sont faits pour travailler directement " en ligne ", ce qui ne correspond pas à notre cas d’emploi, qui est de perforer de la bande à certains moments du travail de d’expédier en fin de journée, par exemple, les rouleaux de bande.

On peut comprendre que, dans une bande de papier de 25 mm de large, 0,1 mm d’épaisseur et environ 200 mm de diamètre, il est possible de placer un nombre d’informations qui n’a rien de comparable à ce quel ‘on met sur une carte 80 colonnes (le calcul est à faire). Idem pour le poids.

Le matériel d’étude

Dans un premier temps, nous approvisionnons des machines à écrire Remington et Olivetti, ces 2 sociétés sont alliées à Bull et fabriquent des téléimprimeurs. Nous aurions pu nous intéresser à Sagem, constructeur français, mais cette société ne faisait pas partie de nos associations.

- Un lecteur et un perforateur de bande Olivetti

Le travail sur les machines à écrire consiste principalement à installer des contacts électriques sous les touches du clavier et les différentes fonctions (tabulation, espacement, retour chariot, interligne, etc…).

Rapidement la machine Remington à frappe mécanique montrera ses limites et sera abandonnée. Il restera donc la " Lexicon 80 " à frappe électrique d’Olivetti. C’est une machine à barre et non à boule, comme l’I.B.M. qui sera utilisée quelques années plus tard sur les ordinateurs.

- Les perforateurs et lecteurs de bande sont aussi récupérés et modifiés pour nos besoins, en particulier les contacts et l’arbre de commande d’ouverture ou de fermeture des contacts, qui se referment simultanément, et non plus en " série ", comme sur les téléimprimeurs normaux. Quelques modifications diverses, en particulier pour ce qui concerne le lecteur, la prise ne se fera pas par l’extérieur, comme de coutume, mais par l’intérieur, ce qui évite de rembobiner inutilement la bande (comme pour le cinéma) et de commencer la lecture par le début. Ce petit jeu de maquettage n’est pas si simple qu’il y paraît !

Dans un premier temps, les ensembles enrouleurs et dérouleurs sont fixés et cartérisés avec le lecteur ou le perforateur.

On peut se poser la question ? Pourquoi ne pas être parti de téléimprimeurs existants, ce qui aurait été plus simple. Cette question a évidemment été posée. La réponse est que nous ne cherchons pas à faire une variante de téléimprimeur, mais à faire un système de liaison utilisant des moyens connus pour relier différents types de machines … de comptabilité. On ne parle pas encore d’ordinateurs, mais il me semble me souvenir que l’on avait des idées, c’est dommage, il n’existaient pas encore.

Phase de réalisation commerciale

Quelques ensembles de machines à écrire connectées ont été mises sur le marché " pour voir ", du moins c’est mon avis.

La réalisation commerciale sera faite avec une machine comptable/facturière de marque M.A.M. (Machine Automatique Moderne). Pourquoi le choix de cette machine, qui avait dû être moderne … quelques années plus tôt. Seule explication pour moi, Mr Vieillard connaissait très bien cette petite entreprise.

L’étude des modifications de la machine est assez conséquente. En plus des fonctions diverses à prendre en compte pour les claviers il fallait analyser les informations dans les compteurs (le compteur principal est appelé accumulateur dans les machines comptables. Le chariot, très lourd, se prête mal à la prise d’information électriques ou optiques. Le clavier principal n’est pas accessible.

Parallèlement, nous avons entrepris l’étude d’un perforateur/lecteur de bande qui, finalement, utilisera la bande à 8 canaux prévu en 1964 pour les années à venir (ISO – CCITT) alphabet dit " numéro 5 ". Il est fondé sur l’emploi des combinaisons binaires à 7 moments, auxquels on doit ajouter un moment supplémentaire de parité pour le contrôle d’erreur. Les 128 combinaisons de base sont prévues pour la transmission sans inversion (chiffres/lettres) d’un jeu de 95 signes graphiques. Ces nouvelles normes nous font entrevoir l’avenir pour la connexion avec des ordinateurs. Les premiers micros avec leur micro processeur à " mot de 8 bits " étaient représentatifs d’une bande à 8 canaux.

Les perforateurs/lecteurs construits pour être compacts et légers étaient facilement adaptables à côté, dessus ou près de la machine à laquelle ils étaient connectés. Pour plus de commodité, les ensembles alimentation et réception des bandes étaient " adaptables " pour permettre différentes dispositions. Cette belle réalisation était due à Claude Donabin, ingénieur d’étude délégué du Bureau d’Etudes.

L’armoire de connexion adjacente à la M.A.M. contenant le perforateur et les circuits associés étaient de la responsabilité de Michel Pingeot, ingénieur délégué du Labo Electronique.

La lecture des bandes

Nous n’avons pas dépensé beaucoup d’énergie pour ce problème.

Nous utilisions des Pelers avec lesquelles il était facile de connecter un lecteur de bande. Nous savions connecter depuis des lustres les Pelers aux tabulatrices S. , pour faire les cartes dites " récapitulatives " donc, avec quelques modifications, il était simple de faire la connexion. Ce point n’était pas vraiment le but de la recherche.

J’ai eu la responsabilité de présenter 2 fois ce matériel, une fois à la foire de Milan, en 1950, et en 1951 au SICOB, à côté du premier Gamma 3.

Bull0.jpg (24289 octets)

 

Honnêtement, notre système paraissait ancestral à côté du Gamma. Il contenait quant même les ingrédients de la communication moderne.

Personnellement, je perdrai contact avec la bande perforée, en 1952, pour le reprendre en 1970 à la C.I.I., où j’ai fait connaissance avec les KSR 33 (TTY) et ASR 35, utilisées comme machines de service sur les 10.020 et 10.070, qui étaient des machines S.D.S. " francisées ", utilisant les machines TELETYPE du réseau Télex aux U.S.A. La transmission se faisait toujours par Modems à 110 bauds. La TTY avait comme cousine … la TTY chez Bull, utilisée comme console pour la télégestion et en time-sharing (voir article de W. Kiefer).

Dans les années 70 ces machines seront abandonnées pour des machines plus modernes, dont la vitesse de transmission ne sera plus tributaire de la vitesse de perforation, même avec mémoire tampon. La transmission à des vitesses très supérieures débute : 1200 – 3600 bauds …. On n’est pas au bout de l’ascension.

Pour terminer avec les problèmes de communication -> transmission de données, il faut parler du réseau Transpac (Transmission par paquet des informations), réalisation bien française qui interconnecte entre eux des ordinateurs. C’est lui qui a introduit la notion de " serveurs " et je crois que le réseau Télex finira par se fondre dans ces systèmes complexes.

La fin de la carte et de la bande perforée

Ces deux sortes de supports, après avoir été les reines pendant 50 ans, ont fini modestement, conjointement ou concurrentiellement ? à faire quelques petits tas de cartes (100 cartes, c’est déjà gros) ou des petits rouleaux de bande appelés " Bouts " pour entrer des instructions de programmes dans les gros ordinateurs.

 

Note de l’auteur

Des faits, racontés 50 ans après leur réalité, peuvent être involontairement déformés, incomplets ou irréels :

C’est pourquoi je n’en voudrais pas à un collègue s’il désire corriger, modifier ou infirmer mes propos.

L’important, c’est de raconter notre histoire le plus complètement possible, avec le minimum d’erreurs.

CAIN Pierre

Fédération des Equipes Bull