Bull et les télécommunications ( (1960-1974)

 

par Jean Bellec

 

l’auteur a été ingénieur technico-commercial à la Compagnie des Machines Bull , puis à Bull-General Electric, au service temps réel de 1962 à 1967, avant d’être impliqué dans la conception du logiciel GCOS64.

 

Exposé fait en décembre 2000 à l’ENST au cours du séminaire inaugurant la fondation de l’AHTTI.

Le tableau chronologique ne peut se voir que sur une fenêtre plein écran.

Ce sujet n’avait été jusqu’à présent pratiquement pas documenté et des erreurs et surtout des omissions ont probablement pu s’introduire dans cette première investigation. Pour la phase General Electric, nous avons pu, grâce à Internet, retrouver des témoins français et américains de l’activité durant cette période.

 

Durant toute cette période, le modèle économique du noyau de l’industrie informatique était celui d’une industrie de service (location et support des systèmes de traitement d’informations) cherchant à conquérir et à conserver le marché représenté par l’automatisation de la gestion des entreprises et des administrations. Il était déjà visible que cette automatisation nécessitait l’utilisation de facilités de télécommunications afin de parvenir à l’étendre à la « télégestion », un mot revendiqué par JB Renondin (CFTH à l’époque) qu’il proposait de partager avec Bull début 1964.

A cette époque, il n’était pas concevable, non seulement en France, mais dans le monde entier d’imaginer des chemins de connexions sans passer sous les fourches caudines des administrations PTT qui n’ouvraient aux architectes des constructeurs d’ordinateurs que les réseaux télégraphiques et la bande passante vocale des réseaux téléphoniques. Il faut reconnaître, à la décharge des administrations, que l’heure était encore à la (re)construction d’une infrastructure dont le retard sur les Etats-Unis se mesurait en dizaines d’années. Par contre, à cette époque, le cadre européen ne différait de celui des Etats-Unis que par le fait que le monopole de AT&T s’étendait à la fourniture des équipements terminaux.

 

Produits Bull

Produits Bull-General-Electric

Produits Honeywell-Bull

Attitude vis-à-vis des standards

 

 

 

    Tableau Chronologique

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1960     1961  1962  1963  1964  1965  1966  1967  1968  1969  1970  1971  1972  1973  1974 1975  1976

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Machines Bull        |    Bull-General Electric          |   Honeywell-Bull           | CII-HB   

          RCA 301    |  GE-400| GE-600 /////// GE-600      |    H-6000          |   Level-66           

      |Gamma M40|                                                       | Level 64

            |   GE-115                                               | Level 62

             |                Datanet 30               |    Datanet 355                                      |

                      GE-645              |/////////|     H-6180          | Level 68

les dates de commercialisation ci-dessus sont approximatives

 

Les produits

 

Compagnie des Machines Bull

La Compagnie des Machines Bull commença à s'intéresser à l'adaptation de ses matériels aux télécommunications au tout début des années 1960. Avant son absorption par General Electric en 1964, il ne s'agit que de systèmes spéciaux de transmission point à point et d'un système expérimental interne sur Gamma 30 de fabrication RCA. En 1961, un matériel de transmission Tradan de cartes perforées utilisant un lecteur et perforateur de cartes (réutilisant les éléments d'ateliers de perforation) utilisant des modems 200 bauds de fabrication LTT fut réalisé. Le débit de transmission et l'utilisation qui en était faite le mettait en concurrence avec la transmission par motard en région parisienne…

Un système RCA Gamma 30 avec 10 lignes Télex servit à quelques ingénieurs de la Direction des Etudes et du Service Technico-commercial de Bull à se faire la main sur des applications transactionnelles et leurs contraintes sur les systèmes d'exploitation. Un programme de démonstration fut montré au SICOB 1964 avec des ouvertures et mise à jour de comptes bancaires, une démo de réservation de places de train et des commandes d'écho diverses. Je reste surpris que nous ayons osé faire tenir l'ensemble de ces programmes sur une machine de 20K caractères de mémoire centrale et un disque Bryant de 22Mc !

Bull réalisa aussi une expérimentation d’un serveur de réponse vocale (échantillons de voix stockés sur tambour en forme analogique) sur ce même ordinateur.

 

Contrairement à IBM qui réalisait lui-même des prototypes de modems, Bull ne l'a jamais envisagé et se proposait de se reposer sur les fournisseurs français comme LTT. A l'étranger, chaque filiale devait se bâtir une politique en tenant compte de celle des PTT locales.

Les relations avec les entreprises de télécommunications étaient fondées sur un partage des taches où Bull se contentait de fournir les équipements qu’il pensait à grande valeur ajoutée : les terminaux à cartes perforées et les ordinateurs centraux. Les entreprises du monde télécom et/ou les PTT se répartissaient équipements de télécom proprement dit et fournitures de terminaux (téléimprimeurs avec ou sans bande perforée).

La direction de la Compagnie des Machines Bull était en froid avec CSF  l’actionnaire qui lui était imposé en 1963. La CIT, du groupe de la Compagnie Générale d’Electricité, se positionnait comme un concurrent éventuel dans le domaine des ordinateurs avec le CITAC. Finalement Bull considérait, à cette époque, les entreprises du groupe ITT comme les bons partenaires : les velléités de ce groupe d’entrer dans le monde des calculateurs s’étaient évanouies avec l’échec à Air France, ces entreprises étaient implantées dans toute l’Europe, et elles avaient en France une symbiose incontestable avec l’administration. Plus tard, CFTH, licencié traditionnel de General Electric, entreprit en 1964-1965 un flirt avec Bull-General Electric pour la fourniture de modems et de terminaux, flirt assez vite interrompu par la constitution de la SPERAC dans le cadre du plan calcul.

 

Bull-General Electric

L'expérience de General Electric avant la naissance en 1964 de Bull-General Electric se résumait à la réalisation d'un mini-ordinateur spécialisé, dérivé de l’ordinateur de process control  GE-312, Datanet-30, réalisé pour la concentration et le ré aiguillage de messages Télex pour l'industrie privée (Braniff Airways). Un Datanet 15 (Single line Controller) était un adaptateur réalisé pour les lignes GE-200 et GE-400. C'est à l'époque de l’acquisition de Bull que de nombreux développements en téléprocessing eurent lieu à General Electric aux Etats-Unis.

Ce fut d'abord la conversion du Datanet-30 en processeur frontal pour l'ensemble des lignes. Avec le GE-235 cette association donna naissance au premier système commercial de time sharing, dont d'ailleurs la conception du logiciel avait été faite par le Dartmouth College. Ce système fut le support du langage BASIC. Bull-General Electric en installa une demi-douzaine de systèmes en Europe entre 1965 et 1967. A partir de 1967, le relais du DTSS fut pris par le GE-600 (avec le système d'exploitation particulier Mk II), pour lequel BGE installa les centres de Paris et Amsterdam). Le système initial GE-265 présentait la caractéristique d'avoir la partie la plus importante du système d'exploitation dans le Datanet 30. Celui-ci effectuait la reconnaissance et l'interprétation des commandes et le formatage des données qui étaient transmises au processeur GE-235 via un disque partagé, ce qui faisait du 235 un serveur d'application d'arrière plan. Une des raisons, parmi d'autres de cette architecture est que les machines de GE étaient toutes à cette époque basée sur des caractères à 6-bits et très mal appropriées au support du code ASCII (celui des terminaux TTY).

 

 

Dès l'annonce du GE-600, ce système fut introduit avec un Datanet-30 comme frontal et  des Univac 1004 comme terminaux de "remote batch". A cette occasion furent introduits les premiers modems à 2400 bps. L'homologation locale des modems par les administrations locales et la non-compatibilité de modems à "haute vitesse" réalisés par les constructeurs européens rendait chacune de ces opérations extrêmement complexe et nécessitait la mobilisation conjointe de négociateurs et de techniciens dans chaque affaire, comme l'absence de support standard dans les systèmes d'exploitation nécessitait des programmeurs du constructeur une bonne compétence sur l'application du client et les caractéristiques des terminaux , qui, dès qu'on s'éloignait du simple TTY (et encore), posaient chaque fois leurs problèmes particuliers.

Le GE-115 réalisé en Italie remplaçait rapidement les Univac 1004, tandis que Bull réalisait un prototype pour la connexion de l'ordinateur ) à cartes Gamma 10. A cette époque du traitement par lots de l'information, les constructeurs imaginaient de donner une seconde vie aux ordinateurs en les recyclant sous la forme de terminaux de remote batch.

Toutefois, la vision des systèmes qu’avaient les concepteurs des systèmes d’exploitation standard de l’époque n’était pas toujours conforme aux besoins des utilisateurs tels que les percevaient les ingénieurs du support. Le rôle de ceux-ci était souvent d’introduire, tant bien que mal, les chaînes de liaison non standard au sein du système d’exploitation. L’interface « direct access » introduite sur le GE-400 (DAPS) puis sur GE-600 (GECOS III) servit d’amarrage à ces systèmes spéciaux. C’est ainsi que fut entrepris à Bull-GE le premier système transactionnel du Groupe sur GE-400 l’On-Line Banking System, l’ancêtre des systèmes transactionnels futurs du groupe, à peu près au même moment où le réseau commercial IBM réalisait son premier CICS.

 

Avec le GE-400, les premières réalisations pour le compte de clients furent réalisées à partir de 1965, surtout en France, Espagne et Scandinavie. En France, ce fut l'application de l'émission à distance des cartes grises à la Préfecture de Police qui fut l'application pilote sur ce système.

 

Certaines liaisons, dans les systèmes spéciaux, contournaient les spécifications P&T en utilisant des lignes en site propre. Dans le cas de Bull, TRAPIL assurait une liaison Paris-Le Havre sur Gamma M-40.

 Il ne semble pas, par ailleurs, que cette machine française, dotée d’un système de time-sharing contemporain du Dartmouth System, ait été utilisée à distance.

 

Quand en 1965, General Electric s'engagea avec Bell Labs et le MIT sur le projet Multics la solution d'un ordinateur frontal comme le Datanet 30 ne résolvait pas certaines contraintes souhaitées par les architectes, comme le contrôle par logiciel de l'échoplex; les controles de sécurité par mots de passe cryptés… GE réalisa donc pour le GE-645 un contrôleur d'entrées-sorties entièrement paramétrable par l'ordinateur central, le GIOC, partiellement inspiré du système temps réel de Cape Canaveral. Ce GIOC ne fut pas supporté par GECOS II ni par les GE-635.

De toute façon,  fin 1966, la commercialisation du GE-600 fut interrompue pour quelque 18 mois jusqu'à la sortie de GECOS III.

GECOS III ajoutait aux fonctionnalités remote batch de GECOS II un sous système de time-sharing  dérivé du système initial de Dartmouth ainsi que des commandes d'accès direct permettant d'affecter des terminaux à une application. Le réseau était étoilé (les liaisons multipoints devaient être programmées par l'application). Le protocoles supportés étaient soit le GERTS (pour le remote batch) ou le mode TTY ainsi qu’un mode accès direct permettant la réalisation de systèmes spéciaux tels le système de collecte des chèques (1966-1938) au Crédit Lyonnais interconnectant 4 GE-400 avec trieuse de chèques et un GE-600/DN-30 via des modems américains en bande de base à 40800 bps sur une liaison en site propre..

 

En 1969, le Datanet 30 fut remplacé par le Datanet 355, plus puissant et un peu moins coûteux. La fonction disque partagé entre frontal et processeur central fut abandonnée allégeant les traitements dans le frontal. Après une première phase de coexistence avec le Datanet 30 (GRTS-355), un nouveau logiciel sur le frontal le NPS (Network Program Supervisor) fut introduit en 1972 sur le Datanet 355. NPS supportait entre autres le protocole HDLC  et un le logiciel de transition vers l’architecture de  réseaux DSA.

 

Compagnie Honeywell-Bull

Chez Honeywell, au moment de la fusion avec GE, la ligne H-200 possédait un frontal basé sur le miniordinateur H-716, qui fut rebaptisé Datanet-2000 en 1971. Ce Datanet 2000 entrait en compétition avec le Datanet-355 qui venait d’être introduit sur la série 6000 (alias GE-600) et par ailleurs restait trop onéreux pour les machines moyennes en cours de développement en France et en Italie.  Le sort du 716, après la fusion Honeywell-General Electric sera restreint à celui d’un RNP (Remote Network Processor) utilisé sur quelques sites H-6000, préfigurant le rôle que prendra plus tard le DPS-6.

 

Je terminerai par une allusion à ce qui aura été la grande réalisation de Bull en tant que constructeur d’ordinateurs : la série 64 devenue DPS-7 qui est née à cette époque préhistorique de l’histoire de la télématique.

A partir de 1967, aux études Bull-General Electric commença la conception de la nouvelle ligne de produits qui donnera naissance en 1974 au Level 64 (et plus tard au DPS-7).

 L'utilisation de frontaux du type Datanet 355 ou Datanet 2000 aurait pénalisé le coût de cette machine.  Le DN-2000 existant sur la série H-200 fut reconnecté au Level-64 comme support de la conversion des clients H-200 (surtout américains) sur le 64. Supporté d’abord par l’émulateur H-200, il fut ensuite supporté par les programmes COBOL en natif (mode queued).

 La solution plus générale qui fut retenue fut de réaliser un "frontal virtuel" microprogrammé sur le contrôleur d'entrées sorties d'unit record. Ce MLA « multiline adapter » comportait des adaptateurs de lignes  (avec ou sans horloge interne) avec un tampon d’un caractère contrôlé par un « attachement » micrologiciel qui faisait le filtrage des caractères de service, les traductions de code au niveau d’un bloc de données et alertait le processeur central sur la « fin de bloc » ou bien sur un signal d’attention reçu du réseau.

Ce MLA fut supporté (via le module BTNS Basic Transmission Network Supervisor) par toutes les applications logiciels de GCOS64, avec les protocoles TTY, VIP, BSC et HDLC, X21.

 

Les standards

La situation en 1960 était la suivante. Le seul moyen de communication de données était le Télex, version automatisée du télégraphe. Le débit de transmission correspondait au débit de 120 wpm (mots de 5 caractères par minute), la vitesse de pointe d’un opérateur manuel, soit 50 bauds, puisque le codage Baudot avait été universellement reconnu. Le Télex avait la caractéristique d’être complètement internationalisé. Le terminal et l ‘appareillage (lecteur/perforateur de bandes de papier, dispositif de transmission) était fourni par les PTT (Etats-Unis compris). Aux Etats-Unis, le monopole de AT&T se doublait d’un quasi-monopole de fabrication des équipements par les filiales Western Electric et Teletype.

Un problème majeur du Télex était celui de l’intégrité des données. Il faut se rappeler que les chiffres étaient, pour cette raison, collationnés (répétés en fin de message) dans la transmission télégraphique. La définition des codes de service de l’ASCII essaya de prendre en compte les incidents de transmission. Le passage à un code 7-bits diminuaient l’impact d’une mauvaise transmission des codes d’inversion lettres et chiffres. La reconnaissance des procédures de début et de fin de messages (ZCZC, NNNN ) comportait une redondance compréhensible pour la reconnaissance manuelle dans un environnement perturbé.

 Je me souviens des difficultés posées par l’utilisation ASCII des caractères de masquage d’impression sur une ligne transatlantique de 1971. Les perturbations de ligne nous obligeait à estimer la réponse de l’ordinateur MULTICS de Boston au bruit du Teletype de plus ou moins longue durée suivant la nature de l’accusé de réception.

 

Le monopole de la fourniture avait comme justification le risque de perturbation du réseau par des équipements de transmission inadaptés (risque d’interférences et risque de perturbation des équipements de facturation sur un réseau commuté –ces équipements n’étant pas normalisés entre tous les opérateurs-).

 

La régulation américaine provoqua au début des années 1960 la première étape de la dérégulation des télécommunications, car AT&T n’avait pas la possibilité de commercialiser des ordinateurs et il devint nécessaire de définir la frontière de ce qu’était un ordinateur et de ce qui était propriété et responsabilité du « common carrier ». C’est l’origine de l’interface V24 née RS-232 isolant la partie analogique susceptible de perturber les lignes de la partie digitale.

Bull-General Electric s’est satisfait de ce partage et n’a pas cherché à étudier la technologie des modems, ni par voie de conséquence aux équipements de commutation. La raison essentielle était que les procédures d’agrément étaient longues et coûteuses en particulier dans les pays européens disposant d’une industrie téléphonique…

 

Bull-GE (sous la responsabilité de Lionel Durand) participa activement aux activités de normalisation menées au CCITT par l’intermédiaire des commissions AFNOR et de l’ECMA (qui était le seul forum de discussions techniques avec IBM et ICT). Les représentants de la compagnie dans les comités de normalisation n’eurent pas, dans ce domaine,  de directives stratégiques formelles de la direction et se limitèrent à défendre ce qu’ils voyaient être l’intérêt général de la société dans un respect des avantages techniques dans l’absolu.

 

Il y eut au cours des années 1960 des discussions prolongées pour faire adopter un standard de remplacement du Télex, basé sur le code 7-bits ASCII. Bull soutint les administrations favorables à ce mode de base, mais n’entreprit pas de réalisation conforme à ce modèle. Le protocole GERTS utilisé pour le remote batch est antérieur à la définition de ce mode de base. Ce qui intéressait les constructeurs à cette époque était la définition d’un standard de connexion de terminaux à des centraux. Le monopole des terminaux définis pour l’interconnexion de terminal à terminal était ne train de prendre fin. Les « glass teletype » étaient en train de s’élaborer  et le « mode de base » s’avérait un compromis ne répondant pas bien aux besoins du time sharing (le « break » et à la mise en page sur écran sans parler des considérations sur les claviers et ensembles de caractères nationaux.

De toutes façons, les administrations britanniques, puis françaises, entreprirent à la fin des années 1960 les études du Télétext (Ceefax, Minitel) qui adoptaient leur propre interprétation de l’ASCII.

De plus, le support officiel au "mode de base" dans les communications par caractères se heurta très vite à un  besoin de transport des informations binaires pour lesquels IBM avait déjà introduit le BSC. Les ordinateurs du groupe durent être adaptés au BSC, mais bien entendu ce support fur largement limité aux systèmes spéciaux  RPQs. Cependant, la carrière du format BSC chez Bull fut relativement courte puisque IBM annonça son remplacement prochain par SDLC et que dès avant l'introduction de produits HDLC, IBM proposait ce standard à la communauté télématique. Finalement, SDLC, légèrement amendé, fut adopté comme partie du standard X25 sous le nom de HDLC.

 

BGE (ni Honeywell-Bull) ne songeaient alors à une quelconque  maîtrise d'œuvre dans les réseaux ouverts. La compagnie restait dans le modèle où un client était lié à son constructeur favori, que les grands clients avaient besoin de matériel et de logiciel autour de leur grand système, que les petits clients en avaient besoin autour de leur système moyen…

Le modèle proposé était celui de réseaux privés aux utilisateurs sur la base de liaisons louées aux PTT  interconnectant des ordinateurs de concentration privés. Ce modèle était le plus rentable pour les constructeurs informatiques. D’autre part, il ne semblait pas possible de casser le modèle réglementaire qui interdisait de louer des lignes pour les sous-louer à d’autres utilisateurs. L’interconnexion entre réseaux ne s’imposait donc qu’à l’intérieur d’une même entreprise et l’interconnexion avec un SNA balbutiant était de l’ordre des systèmes spéciaux. Tout encouragement à des réseaux standards aurait provoqué l’introduction d’un cheval de Troie à l’intérieur de l’ « offre globale ».

 

Vers 1970, un débat important opposa les supporters de la commutation de circuits derrière le standard X21 et ceux de la commutation de circuits virtuels X25. Les pays scandinaves imposèrent aux constructeurs informatiques le support d’un X21 initialement prévu pour améliorer les temps d’initialisation des lignes téléphoniques. La position officielle de Bull fut plutôt favorable à X21 qu’à X25 parce que le premier (X21) sous-tendait une moins grande implication des entreprises de télécommunications dans le marché des équipements numériques.

Pour la même raison, les représentants de Bull préféraient les datagrammes aux circuits virtuels. Cette position était plus motivée par un souci d’une filiale de groupe américain de défendre le pré carré des constructeurs contre AT&T que le reflet d'une manifestation d’hostilité à l’égard des positions de la DGT.

 

En ce qui concerne Transpac plus spécifiquement, la vision qu’en avait Honeywell-Bull était qu’il diminuait le chiffre d’affaires de la Compagnie (en dispensant les entreprises d’acquérir leurs propres concentrateurs), mais qu’il était cependant  incontournable devant le privilège régalien qu’avaient les PTT de fixer les tarifs et donc de maintenir le prix des lignes louées à un prix suffisamment élevé pour assurer le succès de Transpac. Le problème fut donc de modifier nos produits pour assurer un support natif à X25 (ce qui fut fait, mais ne remporta pas un succès significatif chez nos clients, même après 1975) et surtout de négocier avec les PTT le support des PAD non seulement pour le protocole TTY, mais surtout pour les terminaux et grappes de terminaux propriétaires VIP (y compris dans leurs différentes variations).

 

Telle était la situation à la veille de la fusion entre Honeywell-Bull et la CII qui allait engager le nouveau groupe dans la réalisation avec Honeywell d’une « architecture de réseau » DSA en concurrence avec le SNA de IBM ainsi que dans ses contributions à la définition du fameux modèle ISO.

Avant la fusion CII, nous étions certes officieusement au courant de l’existence et des objectifs du projet Cyclades, mais il nous semblait, à l’époque, que ce projet ne devait  pas dépasser le stade expérimental, et, comme d’autres projets IRIA, il n’était guère question qu’en bénéficient les ingénieurs français d’une société américaine.

Cependant, aux Etats-Unis, le système ARPANET utilisant des processeurs de communications de la série 16 Honeywell et interconnectant le GE-635 du Rome ADC puis Multics voyait lentement le jour. Son importance future sera passée inaperçue par Honeywell, déchirée par la concurrence interne entre ses centres de développement. Ce type de réseau ne paraissait alors pas devoir dépasser les marchés des administrations publiques américaines.

 

 

 

Bibliographie :

 

Bull. Utilisation en temps réel d’un ordinateur Gamma 30. Notice commerciale 1964

Oldfield. The King of the dwarves. IEEE. 1998

GE Time Sharing System  notice technique 1965

Multics GIOC. FJCC papers 1965 http://www.multicians.org

 

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