LE DÉVELOPPEMENT DE GCOS64 EN 1974 ET 1975.

ATTAQUES ET CONTRE-ATTAQUES.

 

Ce qui suit est le témoignage de mon expérience dans le développement de GCOS64 dans la période 1974-1975. Il y a là ce que j'ai vu à cette époque, et ce que j'ai compris et analysé avec le recul des années.

Je souhaite en particulier mettre en lumière les rapports conflictuels qui ont existé entre équipes à Paris, à un degré plus important entre Paris et Billerica (1974), enfin à un moindre degré avec Tokyo par la suite (1975).

Pour ce faire, les précisions apportées par Jean BELLEC et Alain LESSEUR m'ont été précieuses.

1974 : LA CONCURRENCE FRANCO-FRANCO-AMÉRICAINE.

La mission du développement du système moyen était confiée à Paris (mission assignee Marc BOURIN).

Le développement du logiciel GCOS64 était réparti entre Paris et Billerica .

-La majeure partie se faisait à Paris, dans la direction de Thierry CHAIN, Claude CARRÉ en étant le responsable direct.

-La responsabilité du développement du firmware, et de l'émulateur G100 était également à PARIS, dans la direction de Georges LEPICARD. Celui-ci, fortement ébranlé par l'annonce à l'été 1973 de la pagination sur 360 par IBM, venait de quitter BULL pour rejoindre les développements SIRIS à la CII. Jean Jacques PAIRAULT venait de reprendre cette responsabilité.

-A Billerica revenait le développement de la software factory sur GE645 (macroassembleur, langage HPL, sysgen, pont vers la machine cible 64), le tri, les communications COBOL, l'instrumentation software, l'ensemble des conversions H200 (conversions de COBOL et de fichiers, émulateur H200, la méthode d'accès HFAS), et l'émulateur 360 ( resté à l'état de projet). L'ensemble était sous la responsabilité de Bill HEFFNER, qui avait été responsable précédemment du design de GCOS3.

-Le Product Planning à Paris était sous la responsabilité d'Alain LESSEUR, avec notamment Lucien Nègre comme collaborateur.

-Le Product Planning à Billerica était confié à Bill FRINK+ et quelques collaborateurs.

Les développements de l'Operating System à Paris étaient très en retard par rapport aux plans officiels.

Mais le Management (Ugo GAGLIARDI, professeur à Harvard et principal responsable architecture d'Honeywell, et même peut-être Marc BOURIN) se montraient intransigeant quant à la tenue des plans de développement.

En 1974, une release interne J5 était sortie aux forceps, et son évolution J6 était en cours d'intégration (release manager Pierre SEVRAY, adjoint Marc APPELL qui avait terminé sa mission dans le firmware, et avait rejoint l'équipe software). J6 était la première release GCOS64 à aller en clientèle, supportant l'émulateur G100. Aucune visibilité encore de GCOS 64.

Les équipes parisiennes de Jean Jacques PAIRAULT avaient plus ou moins terminé leurs développements logiciels sous la responsabilité de Michel ROCHER : une software factory avait été développée sur GE635, pour le firmware et l'émulateur G100 ; Marcel LEMASSON avait développé l'émulateur G100 d'abord en stand alone (principaux collaborateurs : Robert FAYOT, Patricia GAUDRY, Bernard MESDON, Marie France JOLY, Christian ROUSSEL) ; Michel JABSTRASKY avait développé le langage MLP avec forte participation de l'équipe FIGER de CAPSO (principal collaborateur Maurice LESIMPLE) ; René HOMEYER avait développé un linker.

L'émulateur G100 quasi stand alone( en réalité tournant comme un job du mini Operating System SCP développé par Jean Paul MESNAGE) fut commercialisé sous le nom de GA.

L'émulateur G100 intégré sur J6 fut commercialisé sous le nom de GB.

Tout ce monde regardait avec un certain dédain les équipes de développement de l'Operating System s'escrimer à sortir LE GCOS64 VISIBLE, en présentant -par exemple- le linker de René HOMEYER comme peut-être plus performant que celui de Claude MASSUARD, et MLP beaucoup plus moderne, puissant et astucieux que HPL. Un des plus actifs dans la critique et la dérision était Marcel LEMASSON, au point qu'il fut déplacé, et muté au Product Planning sous la responsabilité d'Alain LESSEUR.

Quant à Michel ROCHER, il avait pris une responsabilité à Billerica dans la coordination des program managements des deux côtés de l'Atlantique, et s'était adjoint Gérard Lévy.

Mais c'est à Billerica précisément que la concurrence se révéla la plus rude.

Un manque de confiance en la compétence parisienne était manifeste, attisé d'ailleurs par le responsable des développements de GCOS3 à Phoenix, Walker DIX, qui cherchait à substituer l'architecture du futur H6000 à celle du 64. Je me souviens personnellement des critiques teintées d'ironie d'EPSTEIN, responsable performances de Phoenix, lors de ma présentation du design de VMM à un Architecture Committee à Billerica en septembre 1972...

Face aux retards des releases de base 'step4a' J0, J5, J6, Bill HEFFNER avait décidé de développer plus ou moins officiellement un Operating System de même niveau (le 4a back-up), capable de supporter l'émulateur H200, et faciliter l'intégration des autres produits de Billerica. Il avait conçu cet Operating System avec la seule aide -pratiquement- de Tom HIRSCH (dit 'le petit génie'); il paraitrait que cette conception s'était déroulée dans les McDo du coin, le dimanche, avec le soutien de force hamburgers...

C'est ainsi qu'à l'automne 1974, Bill FRINK présenta à Marc BOURIN un plan alternatif à GCOS 64 tel que développé à Paris, basé sur le 4a back-up. Il y avait là, démontrables assurément sur-le-champ un Operating System de type time sharing, avec un Cobol, un tri, un émulateur H200...Il fallait voir cela. Michel ROCHER déclarait d'ailleurs que cet ensemble était sérieux et cohérent, et méritait d'être examiné de près.

Marc BOURIN -en tant que mission assignee- ne pouvait que lancer une évaluation du 4a bak-up, en sachant bien tout ce qu'une décision de portage de Paris vers Billerica aurait comme implications managériales, d'emploi, d'image sur les premiers clients français. Marc BOURIN confia à Alain LESSEUR cette mission d'évaluation ; Alain était assisté de Lucien NÈGRE, Marcel LEMASSON, Philippe DE RIVET, et de moi même.

La mission se déroula à Billerica du 16 au 20 décembre 1974. L'équipe était confinée dans une petite maison en bois, à l'écart des facilities principales de Billerica. Il y eut une série de présentations détaillées de la part des principaux acteurs du 4a back-up, et des démonstrations du fonctionnement. Notre équipe était soutenue par de bons supporters officieux, parmi lesquels Ross PARK, Jim WHITE, et Gérard LÉVY, qui nous alimentaient off-the-record en tuyaux précieux. Michel ROCHER s'étant tenu pendant tout ce temps dans une stricte neutralité.

Il s'avéra que l'Operating System 4a back-up était un développement astucieux, quoique rudimentaire. Le VMM consistait en l'attribution aux tâches de partitions en mémoire centrale et en backing store, la partition en mémoire centrale étant remplie à la demande, et vidée d'un seul coup quand la partition était pleine ('chasse d'eau'). Le job/task management était indifférencié, et des incarnation de processes étaient attribuées aux tâches sur demande : lancement d'une compilation, d'une exécution de programme, d'un input reader, d'un output writer, d'un driver de périphérique. Un minimum se déroulait en distribué, au point que l'exception' missing segment' -par exemple- était traitée comme une interruption avec changement de process... Le reste était à l'état de démonstration sans plus.

Le rapport de la mission se déroula à Paris début Janvier 1975. Pendant toute la période de délibération, un lobbying intense fut exercé par les responsables de Billerica venus en masse à Paris, Bill HEFFNER et Tom HIRSCH en tête, qui croyaient sincèrement qu'ils avaient remporté la victoire. Un exemple : je me souviens de Bill rongeant son frein dans mon bureau, et en attendant le verdict, me proposant de venir m'installer dans les semaines suivantes à Billerica pour une mission d'au moins deux ans, accompagné d'une vingtaine de collaborateurs, pour finir l'Operating System basé sur 4a back-up...

La réalité du verdict ne fut pas celle-là, même si elle tentait de ménager la chèvre et le chou. Il fut décidé en gros de maintenir le développement de GCOS64 à Paris, en tant que système natif et support de l'émulateur G100 intégré : ceci fut baptisé 'PRODUIT 1'. Quant au 4a back-up, il serait maintenu commeom. HIRSCH avec lui) quitta assez rapidement (au printemps 1975) la Compagnie pour aller chez DIGITAL. Il est à noter qu'une étude comparative fut menée quelques années plus tard, qui montra de nombreuses similitudes dans la conception de VAX/VMS avec le 4a back-up.

Face à cette démobilisation, et aussi pour tirer partie des forces vives en développement software des équipes parisiennes libérées de l'émulateur G100, Marc BOURIN décida de lancer un plan de transfert radical de tous les développements de Billerica vers Paris. Ce plan fut coordonné par Michel ROCHER assisté de Gérard LÉVY.

HPL fut récupéré par Bernard GOURITEN, le tri par Jean François BETBEDER, HFAS par Marcel GÉRONDEAU, les conversions COBOL par Jean Philippe JAHARD+, les communications de base par René HOMEYER, en abandonnant au passage les communications COBOL, l'instrumentation redéveloppée de scratch par Philippe DE RIVET.

L'ensemble exigeait une refonte cohérente de l'organisation du développement de GCOS64.

Cela fut fait en parallèle par Thierry CHAIN, assisté par la DRH et de Lucien NÉGRE, qui allait prendre le Program Management de l'organisation. La nouvelle organisation était fondée sur le concept de Chef de Produit, regroupant un développement cohérent pouvant être fait par une équipe Produit de 5 à 10 personnes.

Les produits étaient regroupés en 4 'areas' (divisions) : système +intégration (Claude ROLLAND, avec Gérard JEAN responsable de l'Intégration), le data management (Claude DE MARSAC, remplacé très vite par Gérard LOUZIER), les langages (Alain JAYLES, remplacé très vite par Marcel LEMASSON de retour en grâce), et le transactionnel et communications (Michel ROCHER, assisté de Robert FAYOT et de Jacques PRINTZ pour IDS-2, Maurice LESIMPLE pour TDS, René HOMEYER pour les communications de base) ; Claude CARRÉ prenait en charge l'architecture générale, avec notamment Philippe DE RIVET aux performances, Marc APPELL à l'ergonomie, Claude PENDZEL à l'évaluation des encombrements mémoire (un des gros problèmes des premières releases de GCOS64). Pierre BEAU, enfin, prenait en charge l'Assurance Qualité, et devait être remplacé rapidement par Claude DE MARSAC lors de son départ à la Direction France.

C'est ainsi que furent développées assez rapidement en 1975 la release 1A (émulation G100 et un job natif GCOS64 en parallèle, ) et 1B (2 jobs natifs GCOS64 en parallèle). La release 1C était en cours de développement fin 1975, amenant la multiprogrammation sans restriction, avec première release de TDS, UFAS, et IDS-2. Mais la multiprogrammation avait déjà été démontrée sans ambiguïté lors de la contre- expertise menant à la décision PRODUIT1/PRODUIT2.

Pour revenir aux équipes de Billerica, si quelques collaborateurs quittèrent la Compagnie, la majeure partie se retrouvèrent très vite sur le développement du logiciel d'un nouveau Mini destiné à remplacer les petits H200 : il s'agit du Mini6 ; le design du 4a back-up se retrouva d'ailleurs en partie dans l'Operating system MOD600.

Les ennuis externes n'étaient pas terminés pour les équipes de développement de GCOS64 à Paris. Notamment, il s'est très vite avéré que les premières releases 1A et 1B n'étaient pas compétitives en termes de performances : vitesse et encombrement mémoire. Un plan drastique de calibrage et d'amélioration de performances fut lancé pendant l'été 1975, juste à la mise en place de la nouvelle organisation, sous la coordination de Philippe DE RIVET et de Claude PENDZEL. Des séquences entières de code furent réécrites, notamment dans la chaîne d'entrées/sorties (get/put), et un concept de 'mémoire cachée' fut même introduit pour masquer le trop gros encombrement mémoire de GCOS64...

Par ailleurs, le manque de fonctionnalités (RJE, time sharing, checkpoint/restart) était attaqué par le réseau commercial ... et notre partenaire NEC.

1975 : LA DEMANDE DE NEC.

NEC avait décidé d'investir sur le 64 pour remplacer en particulier le H200 venant d'Honeywell, en fin de course, et pour développer de nouveaux marchés.

NEC avait envoyé à Billerica et à Paris un certain nombre de collaborateurs pour s'intégrer aux équipes de développement. A Paris TSUJI coordonnait l'activité de Akiro MOROOKA, Masayuki AKAI et quelques autres collaborateurs.

Avec le rapatriement à Paris de l'ensemble des développements, NEC souhaitait s'investir encore plus, et a demandé à participer directement au développement de COBOL, FORTRAN, du tri, du RJE. Ce qui ne faisait naturellement pas notre affaire ; encore des problèmes de coordination, des problèmes d'emploi...venant s'ajouter à la digestion de la réorganisation récente, à la mise en œuvre du plan d'amélioration des performances. De plus la fusion avec CII entrait dans les faits, avec pour conséquence une étude de convergence SIRIS/GCOS64, sur laquelle travaillaient déjà Jean BELLEC, Claude CARRE, Dave SLOSBERG, avec implication de Jacques WEBER alors patron de la CISI...Il était évident pour les responsables de GCOS64 qu'il y aurait très vite des implications.

Il fut décidé néanmoins d'envoyer une équipe d'évaluation à Tokyo, pour répondre à la pression de NEC.

La mission se déroula du 23 novembre au 4 décembre 1975, sous la direction d'Alain LESSEUR et d'Ernie DIETERICH, assisté de Paul DERBY en observateur pour Honeywell, Marcel LEMASSON, Philippe De RIVET, Jean. BOURGAIN, Jean François BETBEDER, Louis DOUCET, René HOMEYER, et moi-même effectuèrent cette évaluation. Les résultats furent présentés 'à chaud' à Al CONNOVER, alors responsable du Planning Central de Honeywell à Minneapolis. En fin de compte, tout se solda par la décision de muscler les tests COBOL et FORTRAN avec la batterie de tests développés par NEC.

Et puis la vie de GCOS64 continua avec le succès que l'on sait.

Claude ROLLAND
7 Février 2002

 

 

 

 

 

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