Les échos d’un commercial à Grenoble de 1956-1967.

I. LE DÉBUT A PARIS ET A LYON

Novembre 1955 : échec probable, pour la seconde fois, à l’ENA, et réponse à une petite annonce du Monde (une seule) ainsi rédigée : " Soc. intle rép. mondiale rech. jnes diplômés grdes écoles pr situations technico commerciales d’ing. en organisation ". Voilà comment, à cette époque, sans avoir aucune idée de rien du tout, sans connaître l’existence d’une compagnie dénommée " IBM France ", et après avoir vécu toute son adolescence à Grenoble dans l’idée d’être fonctionnaire aux affaires étrangères, mais après un jour et demi de tests, on se retrouve :

Le 3 janvier 1956 : avenue Gambetta " stagiaire commercial " !

Avec 14 autres perdus, dont Yves Goursonnet, ex-professeur d’italien à Clermont-Ferrand et persuadé que Bull avait recruté un interprète d’italien, on enfile le cours d’opérateur puis le cours de technicien sous la " direction " ( ?) de Le Guénédal pendant 6 mois, sans jamais avoir vu ni machines ni clients ni dirigeants de la Compagnie sauf dans les couloirs (Hervé Callies –Peroche, dit Callies, qui passait devant la queue sans un mot pour prendre l’ascenseur). Point marquant : " David dans l’Aurès ! ", à l’endroit de Jacques David qui se croyait chargé de nous faire marcher droit et qui fayotait au delà de ce que nous pouvions supporter.

En juin, affectation à Lyon.

Le lundi 16 juillet 1956 au petit matin, juste après m’être marié et avoir fêté mes 24 ans, j’arrive rue Professeur Beauvisage auprès de Laurent Artru, le " service commercial " étant hébergé au premier étage de l’usine qui fabriquait les poinçonneuses et les vérificatrices et qui était dirigée par Monsieur Gotman (père du futur Paul Gotman). Artru, grenoblois comme moi, venait de remplacer " le père Renaud ". Personnalités immédiatement visibles parce que présentes en permanence : Madame Girin (Denise), secrétaire d’Artru, et Madame Aymo-Boot, monitrice de perforation. Juste après, dans l’ordre de la perception, le gentil Claude Bibos, le moins gentil Barbezieux (beaucoup de mépris envers les commerciaux), et l’adorable Corneloup, chef de l’entretien. J’ai mis plus de temps à repérer Victor Thévenet qui devait être loin de Lyon sur je ne sais quel démarrage. Et puis, bien sûr, Yannick Geffray qui allait devenir mon mentor, et Henri Monin aux perpétuelles exaltations, spécialement contre les pieds-noirs. Le vendredi à la cantine de l’usine c’était obligatoirement le jour des tripes, je trouvais ça dégoûtant, et rien que l’odeur dans toute l’usine… ! Eux, les cadres de l’usine, dont Gotman et Girin chef de fabrication et mari de la secrétaire, ils adoraient.

Premier travail : arriver à distinguer les unes des autres les interclasseuses, les PRD et plus tard les reporteuses : je n’en avais jamais vu, elles se ressemblaient beaucoup et à l’égard des clients ça faisait mauvais effet de les confondre, ce qui m’est arrivé de temps à autre. Pour cela les mécaniciens m’ont beaucoup aidé, sans jamais se moquer de moi, merci à eux. Les perfos, les trieuses et les tabulatrices, c’était plus facile.

Deuxième travail : présenté par Artru dès l’automne 1956 chez Petercem, avenue Félix-Faure, comme compétent en gestion de production ( !), je me suis tapé une étude qui a duré longtemps, le temps d’apprendre à peu près de quoi il s’agissait, et qui naturellement a échoué. Geffray m’avait bien aidé, mais surtout le client, Monsieur Cachard, qui avait tout de suite compris, mais avait été d’une rare bienveillance : j’en ai retenu la différence entre lancement et ordonnancement, très utile plus tard. A cette époque, il fallait truffer les études d’organigrammes tracés au normographe, et tirés avec les études elles-mêmes à Paris au " Bureau de Dessin Commercial " (Mlle Gonin), situé dans la même grande pièce que celle où j’avais fait ce que Bull appelait un " stage commercial ". C’est Geffray qui m’a tout appris.

Troisième travail : commencer à connaître les clients de Grenoble et de la Savoie. Trajets toujours avec Artru (traction avant) ou Geffray (2 CV), puis tout seul, en train puis avec la 2 CV achetée au printemps 1957 sans délai de livraison grâce à Edouard Callies.

A suivre si vous voulez bien…

José Bourboulon

 

Le 1° janvier 1957 j’étais devenu " Adjoint de Secteur Stagiaire ".

Sans doute au printemps 1957, et je crois sur un appel d’André Faller, son gérant-propriétaire, mais pas sur prospection, j’entame une étude au Soutien-Gorge LOU, à Grenoble, rue Elysée Chatin. Cette fois je suis tout seul, et il s’agit essentiellement de facturation, LOU fabriquant sur stocks ses 4 ou 5 modèles et les livrant à lettre lue, contrairement à toute la profession qui travaille sur deux collections par an de plusieurs milliers de modèles chacune, fabrique sur les commandes reçues groupées deux fois par mois, et livre 2 ou 3 mois après la commande.

Je remets ma proposition, et j’attends. Un jour de l’été 1957, Faller m’appelle à Lyon pour me dire " Je viens de signer avec IBM ". Je lui réponds " attendez-moi, j’arrive " ; je vole à Grenoble avec ma 2 CV toute neuve, je suis dans son bureau moins de deux heures après, et je lui démontre qu’il a fait une grave erreur. Il a fallu plusieurs jours, et je suis arrivé à lui faire comprendre que la malheureuse tabulatrice IBM 420 était bien incapable de lui faire ses factures en un seul passage comme pouvait sans problème le faire ma T.A.S. En fait, elle ne pouvait pas du tout les faire, elle était incapable de faire l’addition horizontale des 8 ou 10 pointures pour ensuite multiplier le total par le prix unitaire. Tandis que le splittage 3 par 3 des 84 roues de totalisateurs de la TAS donnait juste de quoi faire cette addition horizontale en plus de tout le reste.

Faller a donc acheté mon équipement comptant et a dû renoncer au versement initial (10% de l’équivalent prix de vente) qu’il avait déjà payé à IBM à qui le matériel aurait été loué. Je me rappelle bien de l’époque, c’était l’été du spoutnik.

J’avais fait ça tout seul, sans l’aide d’aucun agent technique, et ce succès m’a suivi pendant toute ma carrière chez Bull. Et le démarrage, je crois fait par Bibos, s’est ensuite très bien passé, je n’avais rien promis qui n’ait pu être tenu.

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A suivre si vous voulez bien

José Bourboulon