Les échos d’un commercial à Grenoble de 1956-1967.

Suite des épisodes précédents de José Bourboulon.

5° épisode : 1962

C’est le 1° juillet 1962 que je suis nommé " Chef de Secteur ", position III A, sans changement immédiat de rémunération :1.500 francs par mois sur 12 mois, sans intéressement ni partie variable (si je m’en réfère à mes bulletins de paie, l’intéressement n’est venu qu’avec les Américains de G.E.), portés à 1.545 en septembre, puis à 2.100 francs de janvier 1963 à févier 1965.

Le " Secteur 83 " englobe alors officiellement la Drôme et l’Ardèche, dont je crois que je m’occupais dès 1960 ou 1961 avec les Lyonnais : il me semble qu’à Valence la SPIT (Société de Prospection et d’Invention Technique et la MGM (Manufacture Générale de Munitions), par exemple, avaient été signées par Lyon, tandis que c’est moi qui avais signé la Caisse d’Allocations Familiales, ainsi que la Mutualité Sociale Agricole de l’Ardèche à Privas et la Caisse Mutuelle de Réassurance Agricole (dite " Caisse 1900 ") de Montélimar.

En 1962, tout jeune commercial après deux années comme inspecteur des PTT doté d’une belle carte tricolore, Kampf fait signer Regnault (stylos marque Reynolds) et les graines Tézier, tous deux à Valence.

Le premier Gamma 10 du secteur a été livré en 1962 aux Houillères du Bassin du Dauphiné à La Motte d’Aveillans, dont j’ai déjà parlé. J’ai dû avoir pour ce client, et cette nouvelle installation, le même problème que j’avais habituellement avec le chef de secteur du SEC (Service Entretien Client), Médéric Le Baillif : il considérait les contrats signés par les clients comme des " prévisions ", car il se méfiait des commerciaux. Et donc il ne commençait à organiser l’installation et/ou la formation de " mécaniciens " que quand la livraison lui était annoncée ! Ce n’était pas trop grave pour les équipements classiques dans les grandes villes, car les gens en place pouvaient absorber le supplément de matériels, mais pour de nouveaux matériels ou dans des trous hauts perchés et difficiles d’accès comme La Motte d’Aveillans sur le plateau de Laffrey, ça devenait parfois acrobatique pour les personnels et pour les clients…

Mais avant cette livraison, et à cause de son très grand retard de sortie, nous avions besoin (nous = Kampf et moi), de montrer un Gamma 10 en fonctionnement à des clients/prospects que nous avions pas mal chauffés, et pour cela Kampf a organisé un grand show à Evian, dans je ne sais plus quel Palais des Congrès. Faire ça à Evian, à l’extrémité nord du secteur, ce devait être pour attirer les Suisses, ou pour plaire à notre client, la Société des Eaux Minérales d’Evian qui venait de commander une BS supplémentaire et un Gamma 3, grâce à un mémorable voyage que nous avons fait en plein hiver et où j’ai cassé mes chaînes…Bref, Kampf fait venir un Gamma 10 de démonstration, le fait installer à Evian avec Odin comme officiant, loue un autocar, convoque de bon matin une vingtaine de hauts dirigeants grenoblois (dont Gilbert Lafanechère) devant notre loge de concierge, en ramasse une dizaine d’autres en chemin, et arrive en fin de matinée à Evian, pour trouver un Gamma 10 en panne ! Il ne restait plus qu’à regarder la machine le ventre ouvert, à déjeuner et à revenir ! 150 km dans chaque sens et sans doute plus cinq heures de car !

Mais nos gens ont pris ça avec philosophie, et le Gamma 10 a eu dans notre secteur la diffusion qu’il méritait.

En 1962 également, ont eu lieu mes démêlés avec les Tissages de Soieries Réunis (lingerie féminine de marque Hélios) dont le siège social était à Lyon et le siège administratif à Annonay : c’est donc moi qui m’en occupais, en équipe avec Geffray à Lyon. Au début, il leur fallait absolument des comptes tenus comme avec une machine comptable, c’est-à-dire un IPC. J’ai donc organisé un voyage pour leur montrer des clients à IPC (rares !), et contents de leur IPC (encore plus rares !), et il a fallu aller à Troyes, à Paris et à Strasbourg. Ils étaient trois, dont Jean-Claude Glaizal, neveu du PDG André Chastel, et le directeur financier dont j’ai oublié le nom ; ce que je n’avais pas prévu c’était leur capacité d’absorption. Le soir du deuxième jour, à Strasbourg, après le dîner à la Maison Kammerzl, (repas qui en suivait trois autres du même calibre), ils ont voulu boire un dernier coup mais il ne restait plus d’ouvert que le buffet de la gare, et ils se sont enfilés du champagne pas frais ! Et le lendemain matin, dans le turbo-train de retour vers Lyon, le directeur financier se prend d’une petite soif, et fait venir du vin blanc ! J’ai rarement été aussi épuisé, mais ils ont finalement commandé un Gamma ET pour la gestion de production à Annonay. Malheureusement ils avaient un cabinet-conseil de gestion, le Cabinet Vidal (la peste soit des consultants !). J’ai conservé la lettre de 58 lignes que le directeur général du cabinet Vidal, Jean Beaussier, a adressée le 29 novembre 1962 à mon chef Laurent Artru ; entre autres amabilités, on y trouve la phrase suivante : " Ni Monsieur Bourboulon, ni Monsieur Lagoutte ne peuvent être considérés comme pourvus de compétence en matière d’analyse de problèmes de mise en fabrication ou d’écriture de programmes. ". Pour moi, c’était bien vrai, et d’ailleurs je n’avais pas essayé. Finalement le système a tourné, et bien tourné ; son défaut était de livrer les détaillants bien au delà de leurs commandes, et comme tous ne retournaient pas la marchandise, TSR a dû faire une très bonne année 1962.

Dans le même temps, ou peut-être juste après, Valisère, concurrent numéro un d’Helios, était également furieux de nos travaux, et pour la raison strictement inverse : ses stocks étaient pleins, mais l’horrible Série 300 MCT refusait obstinément de livrer ! Nous, c’est-à-dire Bull Grenoble - Bibos et Bourbon essentiellement, avec toute l’équipe de Valisère - , avions conçu et réalisé un très remarquable système de gestion de production intégrée à base d’ " affectation sur stocks " : il s’agissait de suivre les commandes des détaillants tout le long de la fabrication et de regrouper automatiquement les articles d’une même commande dès qu’était atteint un certain seuil de complétude (comme on ne disait pas encore). Malheureusement la machine ne faisait qu’imprimer " Suivra " à chaque ligne de livraison, et ne livrait ni ne facturait rien du tout. Je rends encore hommage à Pierre Planchon, chef du service, à mon interlocuteur Georges Clément, directeur financier, et à son frère François, PDG, qui ont su rester calmes même quand le SEC a été obligé de reconnaître que le tambour était fêlé et de le changer à ses frais !!!

On peut dire qu’il y a eu de l’ambiance dans le secteur en ces temps-là…

D’autant que 1962 a été également l’année du Gamma 30 S du Centre d’Etudes Nucléaires de Grenoble, pour lequel le secteur a fourni une énorme assistance technique en gestion. A l’époque le directeur du CENG était Louis Néel, le directeur adjoint était Bernard Delapalme, et le chef du Groupement Financier et Comptable (le chef comptable, en bon français) était l’inénarrable Charles Sontag, que j’ai déjà mentionné. Sontag, d’origine basque comme son nom ne l’indique pas, n’avait, je crois, aucun diplôme, il s’était engagé tout jeune dans les Forces Navales Françaises Libres, et avait été torpillé deux fois. Quant à Delapalme, auquel j’étais venu faire remarquer vivement que le retard des travaux d’installation du Gamma 30 S créait de vrais problèmes, il m’avait répondu " c’est la première fois de ma vie que je me fais engueuler ", mais je ne l’ai pas cru.

1962 a aussi été l’année du programmateur numérique installé par Yves Logé au même CENG pour gérer en temps réel je ne sais plus quel stock, avec des claviers fabriqués spécialement du type " régie d’éclairage ". Dans son ouvrage, Logé écrit que cette réalisation avait permis " le maintien du Gamma 30 ", c’est pourquoi je la cite.

Ce doit être aussi en 1962 que j’ai obtenu la commande du Gamma 30 S du CEA de Pierrelatte, livré en 1963. C’est un certain Monsieur Pierre qui devait choisir entre un Gamma 30 S et un 1410 d’IBM, la version scientifique du 1401, et il m’avait dit : " les matériels sont équivalents, et je choisirai celui des deux constructeurs qui me trouvera le meilleur chef de service à embaucher ". J’ai donc rendu visite à Gérard Barrio, ingénieur chez Merlin-Gerin – c’était un client IBM, donc j’avais les meilleures raisons du monde de lui piquer un excellent ingénieur – et je lui ai expliqué qu’il devait entrer à Pierrelatte, ce qu’il a fait. Barrio a plu à Pierre, et Pierre a tenu parole, il m’a commandé un Gamma 30 S. Et Barrio a été un excellent chef de service / directeur de projet.

Quelques chiffres pour terminer ; j’en ai, car en tant que chef de secteur je me suis mis à écrire, et j’ai gardé quelques doubles.

Fin 1961 : 10 personnes dont deux commerciaux (Kampf et moi) avec une secrétaire (Odette Koroghlouyan déjà citée), plus 7 techniciens, pour 2.700.000 francs de chiffre d’affaires, 70.960 points, 25 clients et 9.877 heures d’assistance technique.

Fin 1962 : 16 personnes (+ 33%) dont trois commerciaux (Yves Massin en plus), une secrétaire, 12 techniciens, pour 7.000.000 de chiffre d’affaires (+ 159 %), 81.010 points (+ 14 %), 39 clients (+ 56 %) et 14.734 heures d’assistance technique (+ 49 %).

Parmi les techniciens arrivés en 1962, je peux citer Rivière installé à Valence et qui mettait sur ses rapports hebdo " temps de rédaction du rapport 0h30", Minvielle qui a essayé sans succès pendant peut-être dix mois de décompiler le tri du Gamma 30 pour l’intégrer dans les programmes du CENG, Bugaud, moniteur technique, et Gantelet assistant-programmeur chez TSR à Annonay, qui a eu plein d’ennuis avec M. Lombard, le chef de service, à cause de l’horrible femme de celui-ci, monitrice de perforation, et qui surtout participa ensuite avec Odin et Pasquier à la création de la Sarl SOGETI (début 1967) puis de la SOPRA (un an après).

S’il a pu y avoir en 1962 un troisième commercial, c’est qu’alors nous devions avoir déménagé boulevard Jean Pain, dans de grands locaux clairs et tout neufs, avec du mobilier neuf. Kampf a été pour beaucoup dans le choix du local, car j’avais d’abord trouvé autre chose de beaucoup moins bien, dans une vilaine petite rue moderne dont j’ai oublié le nom, et il avait su en convaincre Artru.

José BOURBOULON.

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A suivre