Jean BELLEC       1935 - 2012

 

 

Jean BELLEC nous a  quittés le 18 mai. Ses proches amis de la F.E.B. craignaient cette échéance depuis quelque temps, tant son état de santé déclinait. En sa mémoire, et pour lui rendre hommage, nous vous proposons de lire l’allocution prononcée par sa compagne Jacqueline VIDAL lors de ses obsèques.

 

Chers tous,

 

Je suis très émue et très touchée de vous voir si nombreux dans cette église pour rendre hommage à Jean, à ses qualités humaines, à son intelligence, à sa finesse, à sa  culture, à la profondeur de ses réflexions sur le sens de la vie.

Je voudrais par ces quelques mots vous le faire mieux connaître.

 

Jean est né à Saint Pol de Léon, en Bretagne dans une région agricole, dans une famille de « terriens » chrétiens de gauche.

Il a grandi auprès de ses parents, de son grand père, de sa sœur  Annick de 3 ans sa cadette, puis de la petite Monique qui est arrivée 10 ans plus tard.

Enfance heureuse, mais profondément marquée par la guerre :

        - père prisonnier en Silésie,

- témoin de combats aériens et de bombardement sur le Finistère et Brest (où habitait une de ses grands-mères) chute d’avions en flammes (d’où une peur panique du feu),

        - le père d’un de ses camarades de classe a été fusillé comme otage.

 

Jean a été un brillant élève du collège Kreis Kerr à Saint Pol, puis de Sainte Geneviève à Versailles.

Il est entré à l’Ecole des Mines de Paris à 20 ans.

 

C’était avant que le mot « informatique » ne soit inventé. On apprenait alors dans les Grandes Ecoles, la physique classique, des notions de physique quantique, le droit, l’économie, la logistique (que l’on appelait le transport) et la géologie d’avant l’adoption de la théorie de la dérive des continents et de la tectonique des plaques.

(Je donne ces précisions pour que nos petits enfants mesurent les progrès accomplis dans le domaine scientifique au XX siècle.)

 

Au cours de stages, il a découvert les difficiles conditions de vie des mineurs de fond en Lorraine et dans le Nord, et la magie du désert en participant à des activités de prospection pétrolières.

Et l’attrait du désert ne l’a jamais quitté.

 

Lors de son service militaire, pendant la guerre d’Algérie, il participait aux travaux de la force de frappe française, à Reggane et à Inneker. Il mesurait le sens et la force des vents avec des radars.

Plongé encore dans la magie du désert.

Il a rapporté de cette aventure une impressionnante collection de diapositives, disponibles sur Internet, qui ont été consultées par de nombreuses personnes s’intéressant à la « Bombe » ou au désert.

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De retour à la vie civile, après un bref passage à l’Institut Français du Pétrole, Jean a été embauché à la Compagnie des Machines Bull, qui à l’époque s’orientait vers un nouveau domaine d’activité : les ordinateurs.

Jean s’est intéressé à la problématique du « transactionnel » et a participé en avant vente à de grands contrats soutenus par General Electric (le nouvel actionnaire de Bull) au Mexique et en France. Contrats perdus à cause de l’inadéquation des performances des solutions proposées.

 

General Electric a alors décidé de lancer un vaste projet visant au développement d’une ligne d’ordinateurs modernes (hardware et software), le projet Charlie pour lequel Jean a été sélectionné dès le début. Sa carrière professionnelle se confond pour les 20 années qui suivent avec la portion de ce projet dite « 64/DPS7), attribuée à BULL et à ses avatars, dans lequel il a eu un rôle déterminant. Beaucoup des personnes présentes dans l’assistance l’ont connu comme responsable de l’architecture du software, ont travaillé sous sa responsabilité et sont devenus ses amis. Et nous pensons tous avec émotion et nostalgie à ces années passées à Gambetta à rechercher les meilleures solutions et à lutter contre la dérive d’un planning glissant … désespérément vers la droite.

Nos collègues de GE étaient en charge d’une autre partie du projet Charlie. Cela impliquait des rencontres fréquentes à Paris ou à Phoenix, (Ariz). L’occasion de retrouver le désert et d’apprendre à connaître les civilisations des tribus Indiennes, « before Cortès »

 

Avec l’arrivée de Honeywell à la place de GE comme actionnaire de référence, NEC société japonaise de renommée mondiale est entré dans le projet. Et ce fut pour Jean la découverte d’une culture différente de notre culture occidentale, de manières de penser et de discuter parfois étonnantes. Jean s’est vite familiarisé avec ce nouveau monde. Ses amis japonais l’appelaient Bellec-San.

 

Durant cette longue période, il y a eu de rares vacances, l’occasion de grands voyages culturels.

La fin du chantier du projet « 64/DPS7 » a coïncidé avec un profond  changement de la Direction de BULL, ralliée à la pensée unique des années 90 : « fin de développement de produits originaux »,  offre d’un catalogue de « services » adapté aux clients, bâti sur des produits du commerce. Et à  la doctrine « à plus de 40 ans un cadre est trop vieux pour être productif dans le monde merveilleux du service ».

Comme beaucoup d’ingénieurs de haut niveau, Jean a été doucement, mais fermement poussé vers la sortie. Le monde de l’entreprise était alors bien ingrat. Cela a-t-il vraiment changé aujourd’hui ?

Ainsi, en 1994 Jean s’est retrouvé « retraité d’office ». D’autres avant lui avait subi le même sort et créé une association « Fédération des Équipes Bull » ouverte à tous les anciens, qui a pour objet de témoigner ce que la BULL avait su inventer et réaliser avant de se transformer.

Un groupe de réflexions sur l’histoire de l’informatique et de son utilisation s’était constitué, en liaison avec l’association sœur des Télécom, puis des anciens d’IBM, de CII, de grands utilisateurs… et avec des laboratoires du CNRS et de l’Université PARIS IV.

 

Une période très riche sur le plan intellectuel, beaucoup de rencontres de personnalités du monde technique et économique.

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A cette époque, nous avons eu la chance d’avoir trois petits enfants. Et Jean est devenu BonJean, un grand père un peu sévère mais juste, qui savait presque tout, qui a appris aux enfants à utiliser une souris dès leurs 2 ans, à jouer avec Adibou, avec Internet, Google Earth, et l’usage du monde.

 

Nous avons fait quelques petits voyages, notamment en Toscane et en Bretagne.

Et Jean s’est peu à peu habitué à notre résidence de vacances des Houches. Il aimait admirer les aiguilles et les glaciers - un autre type de désert -. Il a rencontré des personnes très différentes de son milieu professionnel, avec qui il s’est bien entendu. Et fait encore beaucoup de belles photos.

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Mais les maladies dont il souffrait depuis des années l’ont rattrapé. Et il nous a quittés avant d’avoir écrit le livre qu’il inventait dans sa tête.

 

Jacqueline Vidal

Eglise Saint-Louis de Garches

25 mai 2012