RELATIONS ENTRE LA C.I.I. ET L'ENVIRONNEMENT TECHNIQUE ET INDUSTRIEL
Il est nécessaire de rappeler que la philosophie de l'intervention de l'État à travers le Plan Calcul était de promouvoir le développement d'une industrie française de l'informatique et à travers elle d'exercer des efforts d'entraînement important sur l'ensemble de l'industrie française. La politique des produits du Plan Calcul (gamme I et II) était considérée plus comme un moyen nécessaire pour atteindre la finalité réelle visée (création d'une structure industrielle nouvelle, en particulier dans le domaine de l'électronique). - Le second aspect fondamental était la volonté affirmée d'échapper aux efforts de domination de l'industrie américaine. Il impliquait donc un effet particulier de cohérence entre entreprises françaises, avec la nécessité ultérieure (Cf. rapport Ortoli) de mener des liens de coopération avec des partenaires européens. La C.I.I. avait donc une responsabilité fondamentale de
"catalyseur" des efforts nationaux. Ceci se traduisait par les
engagements suivants inscrits dans la convention : " L’entreprise devra par ailleurs fournir, en étroite
collaboration avec la recherche d'État et les autres laboratoires de
l'industrie, un important effort de recherche et d'étude afin de
préparer les bases d'une politique technique cohérente et
indépendante à moyen et long terme. Celle-ci devra en particulier
mener à la définition des ordinateurs de la génération suivante et
donner à l'entreprise les moyens de rester maîtresse de sa politique
industrielle en cas d'évolution fondamentale des structures et des
technologies des systèmes de traitement de l'information. - à réviser progressivement les accords qui la lient à des
sociétés étrangères en vue d'obtenir sa liberté d'action sur le
plan technique, industriel et commercial, Force est de constater que les relations de la C.I.I. avec l'environnement extérieur n'a pas été conforme à l'esprit de la convention, malgré des interventions nombreuses de la part du Délégué à l'Informatique. Avant d'étudier de manière plus détaillée ce problème, on peut annoncer les raisons principales d'une évolution non satisfaisante dans ce domaine : - La C.I.I. se trouvait engagée dans une politique de licence avec S.D.S. ; les contraintes inhérentes à l'apport technologique américain ont rendu extrêmement difficile une politique d'innovation sur le plan national. - La C.I.I. a été en butte aux ambitions do ses maisons mères, ce qui a créé un climat de méfiance sinon de lutte, justifié hélas par l'attitude de ces dernières. Le fameux problème des "domaines" qui a amené la création de CITEC-GIE et a retiré à la C.I.I. le domaine des systèmes industriels, en contradiction flagrante avec le texte de la convention, illustre à merveille le type de rapports que la C.I.I. a du avoir avec ses maisons mères. Cette politique négative, tout en perturbant gravement la C.I.I. n'a d'ailleurs pas permis à la C.S.F. de maintenir le potentiel et la notoriété que la C.A.E. avait acquis dans le secteur des automatismes industriels. - L'équipe dirigeante qui détenait le "pouvoir de fait"
à l'intérieur de la C.I.I. n'a jamais pu changer de mentalité.
S'étant formée au sein d'une petite entreprise, aux faibles moyens,
sans ambition technologique (politique du "suiveur") ni
commerciale (faible implantation), elle n'a pu prendre conscience de la
mutation que le lancement du "Plan Calcul" lui permettait.
Elle n'a jamais eu que la vision d'une "croissance
homothétique" pour la C.I.I. ce qui était incompatible avec les
objectifs réels du Plan Calcul. Nous étudierons ces relations à travers deux exemples : - la politique de la C.I.I. en matière de composants, la politique de la C.I.I. en matière de périphériques. On peut en simplifiant à l'extrême avancer que deux types de
politique étaient possibles pour la C.I.I. : - On peut dire qu'au cours de la première phase du Plan Calcul, la
C.I.I. a mené de volonté délibérée la première politique. Cette politique a été en grande partie dominée par les contraintes
résultant de l'accord de licence S.D.S. ; notons que ces contraintes se
prolongeront pour le système P3, étant donné son lien de parenté
technologique avec le 10.070. L'exemple le plus frappant est la nécessité d'acheter chez Texas et Signetics un circuit mémoire 4 bits (n° 304) de spécification S.D.S. Bien que ce circuit ne représente qu'à peine plus de 10 % des circuits utilisés, le fait qu'il ne soit fabriqué que par les deux fournisseurs américains cités, oblige la C.I.I. à s'approvisionner pour la moitié au moins de la totalité de leurs circuits auprès de ces mêmes fournisseurs. Sinon il se pourrait que la source de circuits 304 soit tarie ! On voit que la " politique préférentielle " d'achat imposée par l'industrie américaine à la C.I.I. s'est trouvée plus efficace que l'article de la convention qui préconisait une telle politique en faveur des entreprises françaises. Ceci amène à penser que le fait de ne pas fabriquer un circuit difficile, même en petit nombre, finit par revenir cher à l'industrie française. Nous verrons ultérieurement combien cet approvisionnement américain a lourdement posé contre la politique d'exportation vers les pays de l'Est. Vis à vis des fournisseurs français, la C.I.I. s'est comportée
comme un client ordinaire, elle a fait jouer la " loi de la jungle
" : appel d'offre systématique tous les six mois à au moins trois
fournisseurs, choix du prix le plus bas. Si cette politique est
théoriquement la meilleure dans des conditions de "marché"
normal, elle s'est avérée absolument incapable, non seulement de
développer une industrie saine des "composants" en France,
mais aussi de procurer en temps voulu des composants au moindre coût. Un grand nombre de retards dans les livraisons et des difficultés technologiques sérieuses auraient pu être évités si la CI.I. avait négocié avec ses fournisseurs nationaux des contrats à long terme garantissant un débouché minimum et maximum selon que les prix proposés auraient été plus ou moins proches de ceux du marché international. Une telle politique aurait permis en effet aux fournisseurs de poursuivre l'effort de développement et d'investissement nécessaire pour satisfaire le besoin de la C.I.I. Cette dernière a fréquemment saturé la capacité des fournisseurs nationaux (exemple : tores de mémoire, circuits imprimés), ce qui aurait du être évité. L'évolution technologique prévisible dans l'avenir va rendre encore plus crucial ce problème des composants: en effet les futurs ordinateurs connaîtront l'intégration à large échelle qui tout en augmentant la vitesse de traitement et la capacité du système, en diminuera le prix de revient et le coût de maintenance. La conception de l'ordinateur futur aura donc pour objet de définir le contenu du LSI (schéma logique) et de définir le mode de connexion du LSI sur les circuits imprimés. Les choix qui seront faits au niveau des études devront l’être en fonction d'autres choix au niveau de la fabrication afin que la réalisation globale de l'ordinateur soit la plus rentable possible. On voit donc que la C.I.I. devra jouer un rôle important dans la conception même de ces composants. D'autre part il faut espérer que par un détachement plus sensible de la technologie S.D.S., la C.I.I. aura recouvrée une réelle liberté de choix technologique. Or, les discussions que nous avons eues avec les techniciens de la C.I.I. nous ont montré qu'ils étaient près à tomber d'un excès dans l'autre. Partant de l'achat sur le marché au moindre coût ils seraient prêts à revendiquer la création intra-muros de l'ensemble des moyens nécessaires pour concevoir et produire la plus grande partie de leurs composants. Cette évolution est psychologiquement explicable. En raison des difficultés de leur politique passée et de l’évolution technologique prévisible, ils ont la tentation de vouloir tout faire eux-mêmes, ce qui est la réaction normale de gens qui ne savent pas faire faire. Il est à noter que cette volonté est parfaitement contradictoire
avec l'état d'esprit qui les anime par ailleurs et que nous
développerons ultérieurement : celle d'une croissance
"homothétique" de la C.I.I. Cette tendance comporte un danger
manifeste et ne peut apporter de solution heureuse au problème des
composants. 2 - Politique en matière de périphériques On retrouve les mêmes lacunes, encore aggravées, dans la politique menée par C.I.I. dans le domaine des périphériques. C.I.I. s'est contentée pendant longtemps d’une politique d’achat
auprès des fournisseurs américains. Étant donné la position
dominante de ces derniers, les conditions d’organisation ont été
particulièrement pour C.I.I. (Cf. achat de dérouleurs de bandes à
Ampex). La C.I.I. a mis une mauvaise volonté évidente à nouer des
liens avec les fabricants français. Un protocole d'accord qui devait
être signé avec SPERAC (engagement pris auprès du Délégué au
moment de la signature de la convention) n’a jamais vu le jour. Certes
l'attitude de la SPERAC n'a pas facilité la réalisation de cet accord
mais C.I.I. de son côté n'a pas cessé de considérer SPERAC comme une
entreprise rivale. Ceci est encore plus vrai au niveau européen où malgré les
incitations du Délégué à l'Informatique, aucune action de
coopération même mineure n'a pu être engagée. Nous n'avons pas l'illusion de pouvoir fournir des solutions toutes faites au problème si difficile de la relation de C.I.I. avec l'environnement national, mais on peut indiquer les lignes essentielles qui devraient guider cette action. a) On ne peut mener une politique "volontariste" efficace que si l'on sait soi-même où l'on va ; ceci suppose la mise en place au sein de la C.I.I. d'un dispositif " prévisionnel " qui est actuellement totalement absent. Ce n'est qu'à partir de véritables prévisions couvrant le long et le moyen terme que la C.I.I. pourra se fixer des objectifs valables. Une fois ces objectifs fixés, il doit être possible d'en déduire les besoins technologiques nouveaux nécessaires à leur réalisation. C'est à partir d'une telle connaissance que devrait s'ouvrir un
dialogue fructueux sous l'égide du Délégué à l’Informatique entre
la C.I.I. et les principaux partenaires nationaux. Il faut en effet
déterminer ce qu'il est important b) Il faut mettre en place des relations de type nouveau entre la C.I.I. et ses fournisseurs nationaux. L'idée de base est qu'il faut substituer à la loi de concurrence sauvage, telle qu'elle existe sur un marché idéal parfaitement concurrentiel, une " croissance organisée " permettant à la C.I.I., et aux entreprises françaises, de bénéficier de " l’effet dimensions " à l'intérieur de marchés rendus contractuellement " captifs " donc fermés aux effets de dominations américaines. En effet dans l'état actuel de l'industrie de l'informatique et de
l'électronique mondiale, l'application de la loi de la libre
concurrence revient à consolider de manière définitive la domination
du plus fort, c'est-à-dire celle de l'industrie américaine. Il faut
donc imaginer une stratégie du " développement protégé ".
Les industriels admettent très bien que la politique d'achat de
l'administration soit " préférentielle ", c'est-à-dire
qu'elle favorise les produits des entreprises françaises. Mais ils
n'ont encore jamais admis d'appliquer cette politique pour leur propre
entreprise, même vis à vis de firmes dépendant du même groupe.
L'argument avancé qu'une telle politique serait un facteur de hausse de
prix, donc de perte de compétitivité, devient sans valeur, dans un
contexte industriel où le problème essentiel est devenu la survie et
où les entreprises françaises disparaissent asphyxiées par la
réduction de leur marché. A titre d'exemple on peut imaginer que les LSI nécessaires à
la C.I.I. soient conçus par deux équipes mixtes C.I.I./Fabricants de
composants (SESCOSEM et Radiotechnique) afin de répartir les risques
aussi bien techniques que financiers. De tels contrats pourraient être signés dans Ie domaine des périphériques. Généralisé un tel système fournit à l'industrie française un
ensemble d'objectifs liés. Cette solidarité des programmes
contribuerait grandement à renforcer la coopération sur le plan
national, tout en contribuant à créer un " humus technologique
" national, sans lequel aucune industrie ne saurait survivre. c) Les interventions des pouvoirs publics devraient favoriser
systématiquement une telle politique : le passé récent montre que les
seules interventions qui permettent d'infléchir la politique des
entreprises sont la passation de contrats par les pouvoirs publics.
Ceux-ci devraient de plus en plus être passés à deux entreprises
conjointement ayant décidées de mener une stratégie liée de
développement sur un point précis. III - LES RELATIONS AVEC L'ENVIRONNEMENT INTERNATIONAL 1 - Les relations avec les États-Unis a) L'accord de licence S.D.S. La prévision de l'évolution de l'activité de la C.I.I. par type de
machines faite par la C.I.I. le 17 novembre 1966 est sur ce point sans
ambiguïté :
- le retard moyen de plus d'une année dans la sortie des matériels du
Plan Calcul peut compromettre gravement leur succès commercial étant
donné l'imminence do l'annonce de nouveaux matériels par la concurrence.
Le temps joue à coup sûr contre la C.I.I. b) Les relations technologiques avec les États-Unis Il est évident qu'une entreprise engagée dans l'informatique doit
pouvoir avoir accès à la technologie américaine, dont l'avance n'est
plus à démontrer. Mais il ne s'agit pas de n'importe quelle technologie
et les modalités d'accès à cette technologie doivent être mûrement
réfléchies. Mais la C.I.I. ne constitue pas un partenaire de dimension suffisante pour être "attrayant" pour des ensembles américains aussi puissants. Cette politique d'échange de connaissance pour être équilibrée ne peut être menée que par les laboratoires des maisons mères et au premier chef par le laboratoire central du groupe Thomson-CSF. A plus court terme et au niveau des systèmes d'informatique, il serait
tentant de pouvoir avoir sur le territoire des États-Unis des équipes
mixtes Franco-Américaines. Ceci permettrait la formation adéquate de
spécialistes, au contact d'un marché à évolution rapide. La solution
idéale serait la prise de contrôle d'une firme américaine de petite
dimension par la C.I.I. On avancera, non sans raison, que l'état financier de la C.I.I. ne lui permet pas une telle politique d'investissement à l'étranger (ceci ne devrait pas être exact au niveau de ses maisons mères, si ces dernières étaient prêtes à investir dans un secteur qui conditionne leur avenir). C'est pourquoi nous pensons qu'une telle opération devrait suivre, et
non précéder, un accord avec une firme européenne importante engagée
dans le secteur. En effet une des premières actions à mener
conjointement avec un partenaire européen devrait être la création
d'une tête de pont aux États-Unis (Certaines firmes, Olivetti et Philips, ont déjà des implantations importantes aux États-Unis). 2 - Les relations avec les Pays de l'Est Les Pays de l'Est, pour un certain nombre de raisons, doivent être
considérés comme offrant des débouchés privilégiés à la C.I.I. : Cet ensemble de conditions est extrêmement favorable à l'implantation importante de la technologie française et des systèmes C.I.I. au-delà du rideau de fer. Mais il faut bien avoir conscience que dans ce domaine, comme dans d'autres, l'évolution est extrêmement rapide, le temps jouant en défaveur de la C.I.I. Toute position qui n'est pas conquise aujourd'hui risque d'être enlevée demain par l'industrie américaine (ou ses associés). Il faut donc agir vigoureusement et profiter des quelques mois qui restent pour monopoliser, à notre avantage, des marchés importants. Certes des difficultés, dues en particulier à l'existence des
règlements COCOM, constituent un frein à cette expansion. Les facteurs
politiques étant déterminants peuvent venir interférer avec la
politique commerciale de la C.I.I. L'administration française est loin
d'avoir des vues communes vis à vis de la politique à mener à l'Est.
Mais tout ceci rend fondamental que les industriels français, et en
particulier les dirigeants de la C.I.I., soient en parfaite communion
d'idée sur ce plan avec le Délégué à l'Informatique et aient la
volonté délibérée d'investir coûte que coûte ces marchés. L'argument toujours invoqué de "représailles" américaines
n'est le plus souvent qu'un alibi pour masquer son impuissance (matériels
sous licence) ou sa mauvaise volonté. En effet l'évolution de la
conjoncture politique et économique montre que de plus en plus de telles
représailles sont devenues impossibles. Le rôle du Gouvernement français est évidemment déterminant. Étant
donné le caractère spécifique de l'informatique et l'emprise de cette
dernière sur la vie administrative et économique d'un pays, il faut
être conscient que nous jouons là une carte majeure qui peut nous donner
la clef qui nous permettra de tenir le développement futur des Pays de
l'Est. Une politique positive devrait consister en une formation massive
de "spécialistes" qui, au titre de la "coopération
technique", iraient enseigner l'utilisation de l'informatique dans
les Pays de l'Est. A côté des importants accords de vente de licences de systèmes
peuvent être menés des accords de coopération ponctuels, en particulier
dans le domaine des périphériques, qui pourraient permettre une certaine
réciprocité des échanges et ainsi faciliter les problèmes financiers
des Pays de l'Est pour le paiement de leurs redevances. 3 - Les relations européennes Une production de grandes séries d'ordinateurs comportant de très larges marges brutes est la seule orientation possible pour l'industrie de l'informatique. Un tel objectif ne peut se concevoir à l'échelle nationale, il ne sera atteint que par la création d'un ensemble européen. Si la plupart dos observateurs sont d'accord sur la nécessité de la création d'une firme européenne véritablement multinationale (c'est-à-dire issue de la fusion de firmes nationales), et si les déclarations d'intentions sont nombreuses sur ce sujet, les différents partenaires intéressés sont frappés d'une étonnante stérilité dès que l'on aborde un sujet concret. Il ne faut pas se leurrer ; dans ce domaine aussi les choses vont se dénouer, peut-être plus rapidement que l'on pense. Si la C.I.I. ne profite pas d'une situation encore fluide pour s'engager par des choix concrets, elle risque fort de se retrouver seule devant des alliances qui l'excluraient. L’échec du "Plan Calcul" serait dans ce cas assuré. Des discussions sont officiellement engagées dans le cadre de Bruxelles, mais le nombre élevé des partenaires, la nécessité d'un accord politique préalable entre États, amènent à penser que leur succès est très aléatoire et qu'en tout état de cause, il ne pourrait survenir que dans des délais sans doute incompatibles avec le développement toujours plus rapide de la concurrence américaine et la situation difficile des firmes nationales européennes engagées dans l'informatique. Il apparaît donc que des négociations bilatérales doivent être menées rapidement pour jeter les premières fondations d'une construction européenne. Si un accord général et ambitieux avec telle ou telle firme européenne apparaît malaisé à conclure rapidement (Cf. en annexe les avantages et désavantages de tels accords avec les principales firmes européennes), un certain nombre d'actions bilatérales auraient pu déjà être menées qui auraient grandement facilité des accords ultérieurs, et en tout cas, eussent servi de tests concrets pour éprouver la bonne foi et la capacité de nos futurs partenaires. Malheureusement, dans ce domaine encore plus qu'ailleurs, le manque
d'entreprise des dirigeants de la C.I.I. est apparu total. Les raisons,
toujours les mêmes, sont bien connues : Toutes les tentatives faites par le Délégué à l’Informatique pour
dégeler cette situation ont été annihilées. Les domaines ne manquent
pas où une coopération européenne aurait donné des résultats
spectaculaires et rapides. 1 - Coopération en matière de périphériques Dans ce domaine la domination américaine est totale. Or la présence de périphériques américains dans un système non seulement limite singulièrement ses possibilités de vente (Pays de l'Est), mais encore le rend particulièrement onéreux (position de monopole). Si les industriels européens avaient pratiques une politique intelligente de répartition des tâches, ils auraient pu assez rapidement couvrir une grande partie de ce domaine, tout en accédant à des séries importantes nécessaires à l'amortissement des investissements. Malheureusement personne ne semble désirer faire le premier pas et la C.I.I. encore moins que les autres. Philips produit des dérouleurs de bandes magnétiques qui ont des caractéristiques techniques conformes aux besoins de la C.I.I., et des coûts inférieurs aux dérouleurs de bandes Ampex. Malgré la demande du Délégué à l'Informatique, ce sont ces derniers qui ont été retenus. L'argument invoqué est qu'ils avaient subi les tests et essais de la part de la C.I.I. et que les coupleurs nécessaires avaient été développés. Cette "politique du fait accompli" pratiquée constamment par la C.I.I., montre à l'évidence que cette dernière n'a jamais été préoccupée par le souci de savoir s'il n'existait pas sur le marché européen du matériel disponible. Sinon ce serait les équipements Philips qui auraient été testés. Pour les mémoires à disques, il serait possible de vendre le MD 17 au
groupe Philips en contrepartie de l'achat de mémoires plus puissantes
(équivalentes du 2314 d'IBM). Certes une telle négociation incombe à la
SPERAC, mais l'attitude de la C.I.I. sera déterminante. Il lui appartient
en effet d'avoir un rôle coordinateur dans ce domaine (Cf. la
convention). Après s'être mise d'accord avec SPERAC, il lui revient de
dire à Philips si ses mémoires "2314" l'intéressent. Or les
visites réciproques imposées par le Délégué, et effectuées depuis
près d'un an, semblent n'avoir abouti à aucune décision. Encore une
fois la politique du fait accompli imposera une mémoire américaine. En effet un nouvel état d'esprit se fait jour en Europe (état
d'esprit dont l'éveil sans aucun doute a été suscité par la politique
du Gouvernement français à travers des opérations du type plan calcul)
qui est de résister aux effets de domination américaine, et de faire
jouer une certaine préférence européenne ("buy european act"). Au niveau des composants, voir de certains sous-ensembles, une
politique européenne s'avérerait entièrement profitable. Il est certain
qu'à condition de s'y prendre à temps, il serait possible de mettre sur
pied des contrats de fournitures réciproques, permettant d'éviter des
doubles emplois coûteux. Les domaines d'application de l'informatique sont immenses et les
ressources en moyens de développement de software sont si restreintes que
dans ce domaine aussi l'envahissement américain se précise. Il est regrettable que des accords n'aient pas encore été recherchés
sur des points précis, en particulier dans les domaines où
l'intervention des pouvoirs publics est nécessaire (circulation aérienne
ou routière, météo, location automatique, etc. Dans un domaine voisin, les firmes nationales sont incapables, à elles
seules, d'offrir une solution concurrentielle face à I.B.M. dès qu'il
s'agit de résoudre un problème d'informatique d'une envergure
importante. Il est certain que sur ce point, dans les prochains mois, le Délégué
à l'Informatique devra prendre une attitude rigoureuse, assortie de
sanctions d'ordre financier. On ne peut impunément laisser l'industrie
française passer à côté de la chance européenne, alors qu'on est
persuadé qu'il s'agit de sa dernière chance.
Document numéro 2 LA C.I.I. ET LA PRÉPARATION DE L'AVENIR I - LES OBLIGATIONS CONTENUES DANS LA CONVENTION Le rendez-vous fixé à la fin 1968 entre C.I.I. et les pouvoirs
publics afin d'étudier un aménagement possible de la convention était
cohérent avec deux autres rendez-vous fixés à la C.I.I. (Cf. accord
technique annexé à la convention) Aucun de ces rendez-vous n'a été respecté. On peut considérer qu'en ce qui concerne la préparation de l'avenir, la carence de la C.I.I. a été totale. Pendant deux ans les recherches n'ont pas existé, ou lorsqu'elles ont existé, elles ont été le résultat d'initiatives spontanées, forcément incohérentes, puisque aucune finalité n'a été fixée aux équipes chargées de les conduire (Ex. : système de visualisation, système GESTRA, MISIA, etc.). Le résultat de cette carence est bien connu : On peut dire de ce point de vue que nous nous retrouvons dans une
situation comparable à celle qui existait avant le lancement du Plan
Calcul : mais avec de lourdes contraintes : On peut être assuré : II - UN ÉTAT D'ESPRIT A CHANGER : LE RECOURS A LA MÉTHODE EXPLORATOIRE La méthode exploratoire a été jusqu'alors implicitement la méthode
officielle de la compagnie. Grossièrement schématisée, elle consiste à
partir des possibilités actuelles de la compagnie (capacités et
contraintes) et à les extrapoler dans le temps. Le tome Il du plan à cinq ans de la compagnie relève de cet état
d'esprit : il consiste à imaginer une expansion de la C.I.I. par une
homothétie appliquée à la situation actuelle. Il donne une priorité
absolue à des notions comme : Il donne les apparences d'une attitude prudente et il contient implicitement l'idée que si les efforts propres de la compagnie arrivent trop tard, il sera possible d'user des ressources du marché international des composants, en particulier pour concevoir dans une deuxième phase du plan de recherche et de développement, les produits à commercialiser à partir de 1975. Si ces produits n'étaient pas prêts, il serait toujours loisible de prolonger l'accord S.D.S. ou de renouer de nouveau un accord au niveau des matériels avec un partenaire américain. L'issue d'une telle politique est aisément prévisible. Elle sera,
elle aussi, la répétition d'une situation hélas bien connue : L'attitude qui consiste à donner un poids privilégié au passé peut
se justifier quand il s'agit d'une firme de dimension très importante
(I.B.M. ou même I.C.L.) ; elle est tout à fait inconséquente au niveau
de la C.I.I. Il n’en va évidemment pas de même si on suppose possible et si l'on
recherche les voies et moyens d'une mutation dans la dimension de ses
ressources techniques, industrielles, humaines et financières : De même, considérer comme impératif de ne pas " perdre plus de 10 % de clients en changeant de produits " est sûrement nécessaire si l'on a un parc de plusieurs milliers d'ordinateurs : cet "impératif" mérite beaucoup plus d'être remis en question quand le parc atteint 200 unités dont beaucoup sont obsolètes et correspondent à des applications (automatismes industriels) qui ne font plus partie des orientations majeures de la société. Il est infiniment plus séduisant de rechercher une attitude commerciale agressive sur le marché privé en acceptant par exemple la responsabilité d'ingénierie informatique dans un certain nombre de filières soigneusement choisies. Une telle orientation remettrait en cause une bonne partie des conceptions techniques qui sont actuellement à la base des réalisations de la C.I.I. Enfin insister trop fortement sur la continuité de la technologie dès lors que celle-ci est essentiellement empruntée à un licencieur américain, condamne à ne jamais recouvrir son autonomie et empêche de choisir des voies originales de développement. Des choix fondamentaux tel qu'un effort massif sur certains périphériques (mémoires de masse) ou sur la conception du software (qui pourrait précéder partiellement celle du hardware) ne se trouvent même pas posés. Un exemple fera aisément comprendre les dangers de la méthode
exploratoire : Une telle décision prise dans ces conditions revient à mener la
politique du "chien crevé au fil de l'eau". Elle engage
cependant dès maintenant des choix technologiques qui seront rapidement
irréversibles. III - POUR PRÉPARER L'AVENIR : NÉCESSITÉ D'APPLIQUER UNE MÉTHODE PROSPECTIVE Cette méthode consiste à construire des graphes alternatifs de
décisions, intégrant en fonction d'une finalité donnée, un calendrier
temporel, plusieurs niveaux de choix technologiques, un ensemble de
"moyens" possibles. Il s'agit, à partir d'une analyse des
besoins probables à long terme, de remonter la filière
technico-économique pour faire apparaître l’ensemble des choix qu'il
convient de prendre. Ce cheminement doit tenir compte : Il doit aboutir à des choix assortis d'une étude aussi fine que possible des délais d'aboutissement. Ces deux pôles, l'un situé dans le futur, l'autre dans le présent objectivement analysé, conduisent à des conceptions de système "cibles" définis quant aux concepts à mettre en œuvre. On choisit ensuite un sous-ensemble des cibles pouvant être atteint et l'on tend à définir des objectifs aux recherches et développement, tels que les moyens techniques mis en œuvre puissent, en cas d'erreur d'appréciation des besoins entre 1975 et 1980, permettre à la C.I.I. de modifier sa stratégie commerciale sans remettre en cause complètement ses investissements industriels et ceux de ses associés. L'analyse des ressources du profit, et des risques, est une conséquence de chaque itération réalisée selon cette attitude, ainsi que l'analyse dos implications sur la stratégie commerciale et la politique industrielle. L'application d'une telle méthode demande : Les crédits fournis par le Délégué à l'Informatique devraient
être débloqués que dans le cadre d'un tel plan d'ensemble, et ne
devraient servir en aucun cas, comme par le passé, à financer de
"fausses" actions de recherche. Document numéro 3 POLITIQUE COMMERCIALE DE LA C.I.I. Les principales carences déjà constatées dans l'organisation de la
C.I.I. se retrouvent évidemment au niveau de la politique commerciale de
la C.I.I. Il est particulièrement significatif que le questionnaire préparé
par la Délégation soit pratiquement resté sans réponse pour des
questions qui paraissent cependant fondamentales pour l'avenir de la
C.I.I., et élémentaires pour une firme normalement gérée : Les quelques renseignements d'ordre statistique, ou économique, en
possession de la C.I.I. sont des apports (non remis à jour) de transfuges
de Bull ou des études de caractère assez globales issues de la
Délégation à l'Informatique (BIPE/COPEP). 2 - L'absence de stratégie commerciale Le plan à 5 ans prévoit l'évolution suivante de la part de C.I.I.
sur le marché français : Une amélioration radicale de la progression de la C.I.I. ne peut venir
que d'une mutation au niveau des structures de la C.I.I. (accords,
fusions). Cependant l'élaboration d'une véritable stratégie commerciale
permettrait sans aucun doute une implantation plus sûre et sans doute
plus rapide de la C.I.I. sur le marché, On hésite à parler d'axe tant la politique commerciale est décousue
et au jour le jour. 10 010 : Mais ces deux produits arrivent trop tard. Ils auront une durée de vie
extrêmement courte. Ils ne correspondent à aucun marché réellement
étudié et préparé en vue d'une pénétration importante. Étant donné les inconvénients et l'avenir du 10 010 on peut se
demander si l'avenir de Q 0 sera meilleur. On a, en tout cas sur ce
point, une démonstration manifeste de l'attitude l'exploratoire qui
consiste à prolonger une démarche sans avoir traité au fond du
problème de savoir si l'ensemble de cette démarche ne doit pas être
remise en cause. Quant à P 0 il a encore un aspect trop "fantomatique" pour
qu'on puisse apprécier ses chances de succès. 10 070 : Ultérieurement IRIS 50 sera orienté vers la télégestion. Mais les
unités périphériques (terminaux, mémoires de masse) ne sont pas
actuellement adaptées à cet objectif. Il est nécessaire pour assurer le
succès d'IRIS 50 de mener rapidement des expériences pilotes (ex. Tigre)
qui puisse permettre à C.I.I. d'acquérir une compétence tout en lui
fournissant des références valables seules susceptibles de convaincre
des futurs utilisateurs. 1 - son aspect décousu et à courte vue que reflète l'incapacité à
fixer des prix et des délais qui soient tenus, 3 - Quelques propositions pour améliorer la politique commerciale de la C.I.I. Il est inutile d'insister sur la priorité absolue qui doit être
donnée à une analyse économique sérieuse de l'évolution future du
marché de l'informatique (Cf. Préparation de l'avenir). On pourrait réaliser un graphe à plusieurs niveaux : 2 - Sous-objectifs - Viser une répartition du C.A. : Marché privé La mise au point opérationnelle d'un tel outil demandera du temps et
beaucoup d'empirisme. Elle permettrait cependant un progrès énorme dans
la rationalité des décisions de caractère commercial. 1 - Mise sur pied d'une véritable stratégie de pénétration du
secteur public 2 - Mise sur pied d'une stratégie de pénétration du secteur privé Document numéro 4 L'APTITUDE DE LA C.I.I.
à INDUSTRIALISER SES MATÉRIELS I - BILAN PROVISOIRE DU DÉVELOPPEMENT INDUSTRIEL DE LA C.I.I. Pour faire le point, il est intéressant de comparer les résultats
atteints ou escomptés aux hypothèses qui ont servi à l'établissement
de la convention d'avril 1967. A - Bilan de l'année 1969 Pour les principaux matériels produits par la C.I.I., nous allons
comparer le nombre de machines qui devraient être facturées pour
réaliser les hypothèses établies en novembre 1966, au nombre de
machines qui seront effectivement facturées selon le budget révisé de
la C.I.I. (révision fin mai 1969)
Ce tableau se passe de commentaires et fait apparaître un retard très
considérable dans l'industrialisation des matériels. Si l'on opère la même comparaison pour les deux dernières années de
la convention (1970-1971), on obtient les résultats suivants :
Si l'on essaie de dresser un taux de réalisation probable des
hypothèses faites dans le cadre de la convention concernant la gamme I
des matériels "Plan Calcul", on constate les taux suivants : II - LES RAISONS DES DIFFICULTÉS INDUSTRIELLES DE LA C.I.I. L'impression générale qui se dégage lorsqu'on cherche à analyser
les causes des difficultés industrielles de la C.I.I. est qu'elles sont
essentiellement dues à une inorganisation générale de la société à
tous les échelons. Il n'y a pas un véritable ordonnancement central directement rattaché
à la Direction Générale. Ce qui serait logique car l'ordonnancement
doit être à l'interface de la Direction commerciale et de la Direction
industrielle. En réalité, seuls les programmes à court terme existent ; ils sont
modifiés de manière incessante, en raison en particulier de la
"politique systématique de compensation" afin de tenir le
chiffre d’affaires prévu, on introduit en dernière heure des affaires
non planifiées, ou l'on modifie substantiellement d'autres affaires.
Notons d'ailleurs que bon nombre de ces décisions sont prises par le
Directeur Général Adjoint sans qu'elles soient toujours notifiées (ou
notifiées avec retard) à l'ordonnancement. Des lacunes importantes apparaissent dans le fonctionnement de ces
organismes. S.D.S. a une double influence sur la production : Direction des approvisionnements La Direction des approvisionnements paraît assez inconsciente de
l'évolution réelle des besoins ; elle a eu tendance à suivre les
cadences prévues théoriquement sans s'ajuster aux cadences réelles. Il
en a résulté un gonflement pléthorique des stocks en cours. Ce trop
plein n'excluant pas d'ailleurs un vide dramatique sur certains points.
Quand on visite l'usine de Toulouse, on trouve des magasins regorgeant de
périphériques, de sous-ensembles, de pièces détachées... et d'unités
centrales terminées sous cellophane (24 x 10010 le 25 avril) à qui il
manque une plaquette de circuits imprimés. Celle-ci, en plus de la totalité des aléas dus au mauvais
fonctionnement de l'environnement rencontre de graves difficultés dues
essentiellement : Le bilan de l'aptitude de la C.I.I. à industrialiser ses matériels se
présente de manière catastrophique. Les contacts directs entre les membres de la Délégation et la C.I.I.
n'ont pas permis de prendre conscience de ces problèmes : Il conviendra pour l'avenir de fixer d'une manière précise en accord avec les dirigeants de la C.I.I., les modalités qui permettront au Délégué à l'Informatique de suivre de manière régulière et complète l'ensemble de ces problèmes. La répercussion provoquée par les retards industriels de la C.I.I.,
en particulier sur les engagements que le Délégué à l'Informatique est
amené à prendre vis à vis des utilisateurs publics sont trop graves
pour que le Délégué puisse accepter, comme par le passé, de découvrir
a posteriori que les délais ne sont pas tenus. |