II - RETOUR A LA BULL - 1946-1966

II - 1 La suite de ma carrière - Un choix indispensable

Mon service terminé à la marine, trois options se présentaient à moi :
Entrer officiellement au Service des Inspecteurs de ville (S.E.V.) ; le chef de service, qui me connaissait déjà du temps où j'étais responsable du contrôle final, m'estimait bien et m'avait fait une proposition intéressante, mais je ne me sentais pas attiré par le travail en clientèle, peut-être à tort ? Revenir au contrôle final, mais le poste que j'y avais occupé était pris par mon collègue Bacou et, après discussion, nous ne voyions pas de solution vraiment satisfaisante, même si le service évoluait, comme le reste de la Compagnie, d'ailleurs. Et bien, nous allons justement reparler d'évolution. Dans nos discussions, l'éventualité de revenir travailler aux Etudes avec M. Perrot a été aussi examinée. Je rencontre donc M. Perrot et lui demande s'il serait intéressé par mes services.
Réponse : Oui, bien sûr, mais pour quel salaire.
Hésitation de ma part et M. Perrot poursuit : Je ne peux vous donner que 10.000 francs par mois.
Sans hésitation, je lui répond : D'accord ! Je ne le regretterai pas par la suite, mais comme négociateur, j'ai vraiment été nul.

La construction du premier laboratoire d'électromécanique digne de ce nom à la Compagnie était presque achevée. M. Perrot allait avoir besoin de techniciens et il me connaissait bien. Il avait déjà un jeune technicien, Jacques Vergniaud, et logiquement, ça limitait la somme qu'il pouvait me donner. Je crois que j'aurai peut-être pu obtenir quelques centaines, voir mille francs de plus, mais, au fond, ça n'aurait pas changé grand-chose à la suite de ma carrière.

II - 2 - Au laboratoire général

Le temps des copains !

Le Labo s'est donc mis en place et, avec Jacques, nous sommes devenus les meilleurs amis du monde. On peut dire que Jacques a été le premier technicien sur machines des études et moi le deuxième. Cher Jacques, j'espère que ta retraite à Treignac en Corrèze se passe toujours bien.


Pierre Cain et Jacques Vergniaud devant une P.R.D.

Le Labo ouvre ses portes au cours de l'hiver 1946/1947 et va s'agrandir rapidement. Je garde de cette période d'une dizaine d'année les meilleurs souvenirs de ma carrière.

Nous étions tous jeunes, sûrs de nous, ayant une haute estime de nous-même, curieux, critiques. Rapidement, nous avons été une quinzaine : Jacques Vergniaud, chef du Labo, P. Cain, H. Gentyl, H. Eymard, chefs de groupe et une dizaine de techniciens, dont Marcel Pinard, Chapuis-Roux, R. Guimard, Tessier, Touzard, Cayn (un homonyme), Urion, Allain et deux petits jeunes sortant du rang et qui ont fait une belle carrière, Roger Pellouin et Clément Degrandi.

Il y avait aussi quelques ingénieurs et techniciens électriciens ne travaillant pas directement sur les machines. On peut citer Haznadaroff, Fayol, Maulard. Toute cette petite collectivité était en général assidue au travail, ce qui n'impliquait pas qu'elle travaillait dans la morosité.


Inauguration du labo général en 1947

Nous avions tous les ans notre Ste Labo, le jour de la Ste Barbe, à laquelle tout le monde, les chefs en tête et les femmes de tous participaient. Cette époque se termine au milieu des années 50, à l'occasion d'une réorganisation complète. Cette décennie aura été marquante sur le plan technique, évolution et nouvelles machines, électronique naissante. Elle le sera aussi sur le plan social, mais je traiterai cette partie ultérieurement.

Pour la partie technique, je ne vais pas te faire un cours de machine, mais plutôt rechercher quelques anecdotes significatives

- Une mise au point pour tous, ou notre petit relais Bull Le petit relais Bull a été étudié avant la mise en place du Labo, mais la fabrication des préséries avec de fil de 4/100 de diamètre qui cassait faisait que l'on voyait les techniciens défiler tour à tour devant la machine à bobiner pour y mettre " son grain de sel " et proposer la solution permettant d'éliminer ce défaut.

- Le "Stroborama" Une personne influente de la Cie avait vu au laboratoire balistique de Vernon une machine permettant de "voir" des pièces en mouvement, comme si elles étaient statiques. Cet appareil, le " Stroborama ", nous a semblé intéressant et la Cie en achète un modèle après que nous ayons été très satisfaits de la démonstration et je suis chargé de son exploitation.

Il était équipé de flashs électriques puissants permettant l'observation, soit directe, soit par pellicule photo. M.F. Maurice, notre directeur, me prête son appareil photo à plaques, personnel. M. G. Zeguelde, connaisseur amateur en développement de plaques, m'explique comment procéder. Je vais chez le fabricant, à Courbevoie, pour obtenir les derniers détails indispensables au fonctionnement de l'ensemble. Pour le local noir (la chambre noire), nous avions une pièce équipée avec lavabos pour développer et fixer les plaques photo. La pièce était assez grande pour y placer la tabulatrice. Il ne manquait plus qu'à installer la fameuse lampe rouge interdisant d'ouvrir la porte pendant l'opération de chargement ou de développement.

Cette installation a été rapidement en place et le système nous a rendu de grands services. Tout cela était bien, mais lourd et difficilement transportable. Quelques années plus tard, nous fabriquions nos propres " Strobos ", légers et maniables. Ils nous ont rendu longtemps des services, au même titre que les oscilloscopes ou grafs). Ces appareils, devenus très officiels, ont même été utilisés pour le dépannage en clientèle à l'époque de la série 300.

Dans les années 50, la Cie a acheté une camera pouvant filmer à 5000 images secondes, qui permettait, après impression de la pellicule, de visionner les images à l'extrême ralenti. Le problème consistait pour nous à pouvoir accéder avec la caméra à l'endroit où nous devions observer un phénomène, en général au milieu d'un ensemble d'électro-mécanique,très compact, nous obligeant à sacrifier des parties de machines très chères et rares, comme tous les prototypes.

Je t'ai parlé de quelques outils très spécifiques, mais il faut savoir que l'agrandissement constant de la Cie dans une branche en évolution rapide a provoqué en même temps un renforcement considérable des moyens d'étude : ateliers prototypes, bureau de méthodes études. Un service de métrologie, indispensable à l'entretien, la réparation, voir la réalisation du parc des outils de mesure, appareils à cadre ou digitaux, les oscillos de tous types et marques, etc... Je citerais Maulard, Grandgirard, Reverdy.


Au labo, en 1947

En 1948, la Cie, sentant le vent de l'électronique venir, a mis en place une équipe de chercheurs et a créé un labo "électronique" (pour faire la différence avec le labo "général" créé 2 ans plus tôt et dont je faisais partie).

Le début de cette nouvelle structure correspond à l'arrivée de Bruno Leclerc, qui rassemblera rapidement une équipe d'ingénieurs complémentaires les uns aux autres pour constituer un groupe très efficace. On parlera encore longtemps, dans notre histoire, du quatuor Leclerc, Feissel, Chenus, Rollet qui sont les créateurs de notre informatique. René Feissel, le père du Gamma 2, nous a quitté en juin 1999 à 78 ans.

A côté de ces grandes figures, je suis obligé de penser à toute cette équipe qui coopérait : R. D'Aladern, Trignot, J. François, Berreux, Kieffer, Dussine, Plomnet, etc...

De plus, la Cie s'est dotée d'un labo de chimie, indispensable pour la mise au point de circuits électriques enrobés (des composants, têtes de lecture magnétiques) et d'un labo de métallurgie dans lequel la Cie a mis au point le procédé d'usinage par électro-érosion, très novateur à l'époque, pour fabriquer les outils de perforation, entre autre.

A partir de 1945, la Cie a embauché un grand nombre d'ingénieurs-mécaniciens, électriciens ou électroniciens, qui dépendaient soit du B.E., soit des labos et étaient chargés de faire des recherches sur de nouveaux matériels, de faire des études de base, industrialiser des matrices à tores par exemple, des têtes de lecture magnétique, de faire des recherches sur les diodes ou transistors, etc...


Personnel des études travaillant sur le Bill Feed :
De gauche à droite au premier plan :
M. Orgambide et Pierre Cain, responsable des essais
Au second plan : M. Laumonnier, dessinateur/projeteur responsable du produit pour le B.E. et le maquettiste de l'atelier Prototype

Ces ingénieurs, en général, faisaient dessiner au B.E., surveillaient la réalisation à l'atelier Prototypes et, si le projet allait assez loin, proposaient les essais à faire dans les labos compétents.

Les travaux des différents labos sont variés. Ils peuvent concerner de " petits montages " électro-mécaniques ou électroniques à mettre au point, des essais de maquettes fonctionnelles concernant un nouveau dispositif et cela à quelquefois une très grande importance, les résultats pouvant engendrer la fabrication de machines prototypes coûteuses.

La 3ème fonction des agents de labo est évidemment de faire la mise au point des machines prototypes complètes ou adjonctions.

La 4ème fonction concerne les essais d'endurance de maquettes ou sous-ensembles importants, surtout en électro-mécanique. Le cas de l'électronique est différent, les règles " d'usure " sont différentes. J'ai été responsable de cette section de sa création jusqu'en 1955?


Au labo en 1947 : au fond, Jacques Vergniaux, responsable du laboratoire d'essais
et Clément Degrandi, un tout jeune A.T.

La 5ème fonction consiste à mesurer le comportement d'ensembles complets fonctionnant dans des conditions les plus proches possibles de celles de la clientèle.


1949 - Montélimard devant une tabulatrice à (fameux) petits relais Bull

En général, les machines sont mises sous surveillance en fonctionnement et souvent avec l'intervention d'un opérateur chargé de manipuler, si nécessaire, et de noter minutieusement les incidents ou interventions programmées.

Progressivement, la Cie a investi dans du matériel pour contrôler le fonctionnement des machines dans les conditions climatiques imposées (température et hygrométrie), puis les mesures de bruit (en db), et, plus tard, des mesures électro-mégnétiques en mettant le matériel dans une cage de Faraday permettant de mesurer les émissions et la sensibilité à la réception des parasites (appelées communément mesure des E.M.I./R.F.I.), ceci dans les années 70. A cette époque, le respect des normes internationales est impératif.


Au Labo en 1948 - Au 1er plan, une P.A.S. (poinçonneuse automatique en série)

Progressivement, au cours des années, tu peux te rendre compte que l'on est devenu de plus en plus strict avant d'aboutir à la commercialisation des produits. En 1980, c'est une homologation sévère à laquelle tout nouveau produit doit satisfaire. A la vitesse où les choses évoluent, les méthodes de 1940 seraient complètement obsolètes.

NB : Pour rendre plus compréhensible l'évolution des essais, je suis allé très au delà de la période pendant laquelle je travaillais au labo général.

Je reprends mon exposé en 1946, lorsque je débute au labo, pour te faire part de quelques anecdotes.

Une économie qui peut coûter cher !

En 1947, l'imprimante Bull type AN7, qui faisait notre fierté depuis 10 ans met le doute dans nos esprits quant la rumeur venant du S.E.V. rapporte que certaines machines imprimaient de façon très erratique un 5 à la place d'un 6 sur n'importe quelle position ! Tu imagines, en comptabilité, l'importance de ce genre d'erreur. Sur ton compte, s'il s'inscrit une fois, par hasard, 5 millions au lieu de 6 millions. Si c'est dans la zone " Débit ", tu ne vas pas apprécier et faire un scandale. Évidemment, si c'est dans ta case " Crédit " tu vas bénir les Dieux.

Trêve de plaisanterie, ce problème dont on ne connaît pas l'origine risque de porter un préjudice grave à la Cie (à travers son client). Nous prenons ce problème très au sérieux et une enquête est lancée au S.E.V. pour trouver une machine produisant ce défaut de façon significative. On finit par en trouver une et le mécanicien responsable chez le client a discrètement récupéré la " colonne fautive ", qu'il a remplacée et me l'a amenée au labo.

Grâce à notre récent " Stroborama " et parce que la colonne a bien conservé son défaut lorsqu'on l'a replacée sur une autre machine et à une autre position, nous avons pu comprendre rapidement d'où venait le problème. Ce qui compliquait, c'est que le défaut, presque systématique, ne produisait une erreur que très rarement.

Nous menons donc les recherches avec le B.E. et nous nous apercevons que la fabrication avait supprimé un numéro de ressort qui ressemblait à un autre ! mais rendait très irrégulier le mouvement d'un cliquet dont le rôle est de bloquer une roue dans une position précise (ce que personne n'avait pu observer). Le tort était d'avoir fait une modification sans faire les contrôles suffisants. Il est d'ailleurs possible que le B.E. ait donné son accord, mais ce qui est anormal, c'est que la pièce montée ne soit pas en conformité avec les plans d'origine, ce qui n'était pas rare à cette époque.

Une affaire de tolérance

Les Interclasseuses Bull utilisaient un système de comparaison à relais (le fameux petit relais Bull !, créé pour elle), couplés à des mémoires (ou comparateurs) à balais. Ce système fonctionnait correctement mais, avec les progrès, il nous paraissait cher à fabriquer. Nous étudions, pour le remplacer, un dispositif de mémoire à condensateurs chimiques d'un type récent et mal connu. Nous faisons des essais que nous jugeons suffisants, avec du matériel de labo, en particulier des blocs permettant de vérifier avec précision la valeur d'essai des capacités. Je me souviens très bien que, pour que le circuit fonctionne, il fallait avoir des capacités comprises entre 2 et 8 microfarads. Pour la série, nous avons mis des condensateurs de 5 microfarads, garantis par le fabricant. La série est lancée pour les Interclasseuses et les reporteuses. Au début, rien n'est signalé, puis nous commençons à entendre dire que les machines font des erreurs de comparaison ; c'est le matin, puis c'est le Lundi, la confusion commerce à régner. Nous prenons le problème en main avec l'aide du S.E.V.

Après divers recoupements, il est évident que ces capacités non utilisées pendant 24 heures perdent ... leurs capacités.

Nous avons revu notre copie et le fournisseur aussi ! Pour résoudre le problème dans l'immédiat, le S.E.V. avait une parade. Il suffisait de passer tous les matins un jeu d'essai spécial " rechargeant " les condensateurs. Ca ne demandait pas beaucoup de temps et ce contrôle journalier a duré très longtemps, ... par habitude !


Opérateur travaillant sur une interclasseuse
- En bas, un panneau de petits relais

Je t'ai fait part de ces deux anecdotes pour te montrer que l'on n'est jamais trop prudent en ce qui concerne la qualité et la fiabilité des produits.

Une autre anecdote, que l'on pourrait intituler " Un principe séduisant qui n'est pas viable "

Un ingénieur avait proposé un nouveau principe de mécanisme d'impression sur les cartes, pouvant remplacer, par exemple, la traductrice Bull. Toutes les sommités techniques de la Cie ayant examiné ce projet, jugé par tous intéressant, une maquette fonctionnelle est fabriquée et j'ai l'honneur d'être le technicien désigné pour faire les essais de cette nouvelle petite merveille.

La maquette commence à fonctionner et les visites se succèdent. Après avoir tout essayé pour régler cette machine, je dois m'avouer incompétent à la régler correctement et moi, le moins gradé des intéressés, je me défends comme je peux pour expliquer l'impossibilité d'obtenir un résultat correct. En raccourci, on pourrait dire que la machine ne permettait d'aligner les caractères que dans le cas où ils se présentaient déjà alignés. Ce qui fait croire à un gag ! De plus, personne n'a trouvé de solution pour faire une modification qui rende le système viable.

Suite à cet échec, il fallait une autre solution globale. Cet ensemble faisait partie d'une grosse machine, la reporteuse, machine déjà complexe dont le but, entre autres, était d'imprimer en plusieurs fois sur des cartes perforées " fichier ".
Le prototype, déjà en fabrication, a dû subir des modifications, avec reprise de l'ancien bloc de la traductrice, ce qui a obligé à rajouter en plus un bloc de transmission très tarabiscoté et, aujourd'hui, je pense que les quelques personnes portant un intérêt à cette machine doivent se demander quels sont les farfelus qui ont bien pu créer un ensemble aussi peu rationnel.

Je t'ai raconté cette anecdote un peu longue pour te montrer que, dans l'industrie, on fait des matériels constitués d'ensembles, tout cela à peu près aux mêmes dates, et il peut arriver qu'une erreur sur un sous-ensemble entraîne des problèmes graves sur la machine complète, qui laisseront presque toujours des traces.

En ce qui me concerne, grâce à cette machine, j'ai beaucoup voyagé à travers toute la France, quelquefois pour des causes importantes, d'autres fois pour des petits détails, ou même parce que les notices que nous faisions à l'époque n'étaient pas assez bien expliquées, incomplètes, ou seulement lues " en diagonale " par le technicien de ville.

Au début, je jugeais cela inadmissible et cela me mettait hors de moi, jusqu'au jour où mon Directeur m'a répondu : "Vous savez, M. Cain, même si votre notice est très bien faite, l'utilisateur n'en retiendra pas plus de 50 % ". Ah bon ! !

Depuis longtemps, je me suis fait une raison, tout en reconnaissant que je me suis souvent pris en défaut moi-même. En conclusion, il faudrait faire des notices complètes, amusantes à lire et à regarder, et cela en 4 ou 5 langues de nos jours. Je crois qu'il reste à faire de gros progrès ! !

Tu vois, on n'a pas tout inventé. Au fait, tu as bien suivi la notice pour régler ton magnétoscope quand il t'a été livré ? Ca marche ? C'est très bien, tu es le meilleur !

II - 3 Les réorganisations des études de 1955 à 1965

3.1 Séparation des études électro-mécaniques en 2 services distincts

Dans le milieu des années 50, la Cie entreprend des modifications d'organisation importantes. Dans un premier temps, les études électro-mécaniques sont séparées en 2 parties distinctes :

  1. Les maquettes fonctionnelles, recherches de base
  2. les machines client, aujourd'hui on dit "industrialisées.

Mr Séry était responsable aux études de base et je suis responsable des essais.
Mr Pinton est responsable des nouvelles machines, en particulier la P 112 (destinée à remplacer les Peler et Pélerod) et la traductrice colonne par colonne, dont plusieurs versions avaient été examinées dans notre service maquettes.
Jacques Vergniaud est responsable des essais.

Ce nouveau service est implanté rue Axo. Je crois que ce sont Messieurs A. Perrot et Sery qui ont "distribué" les rôles.

En ce qui me concerne, je m'occuperai surtout du maquettage de la série 300, qui ne reprend rien de la série 150, qu'il s'agisse de la philosophie, de l'organisation logique ou des éléments matériels.

Le système se rapproche des nouveaux ordinateurs. Il y a en éléments séparés :

La seule logique qui reste par rapport aux anciennes machines, c'est la programmation par tableaux de connexion.
Ces machines comportent des parties électroniques. En particulier, l'imprimante et les lecteurs ou lecteurs perforateurs seront utilisés sur le Gamma 60 avec des commandes internes plus orientées sur l'électronique et alimentées en 20 volts au lieu de 48 volts. Dans une autre version, le perforateur sera utilisé dans le Gamma 10. Les imprimantes et lecteurs-perforateurs seront vendus à plusieurs concurrents, à différents stades de finition, en fonction des accords de marché passés.

3.2 - Réorganisation des études par ligne de produits

A cette époque, je suis nommé Ingénieur 2A et suis responsable de la ligne de produits Lecteurs et Perforateurs de cartes. Nous avons appelé cette organisation de type "croisé" parce que le personnel travaillant pour un produit est sous les ordres du responsable produit pour les questions techniques et sous les ordres d'un autre responsable pour les questions administratives (il a l'impression d'avoir 2 chefs). Par exemple, pour un produit donné, le bureau d'études me déléguait les dessinateurs dont j'avais besoin (dessin d'exécution, dessin petites études, projeteurs, ingénieurs). A l'atelier Prototypes, j'employai un maquettiste ou un ajusteur/monteur prototypes selon les besoins - des techniciens du service études logique schémas - un technicien électronicien. Cette organisation n'était pas toujours facile à maîtriser sur le plan administratif. Une partie du personnel avait deux chefs et là, la réussite de la gestion était surtout une questions "d'hommes" qui, en fait, doivent savoir partager les responsabilités.

Ma première mission a été de procéder à la réalisation du prototype de la LM2, lecteur 600 cartes/minute, dérivé de la L300 qui, elle, comme toute la série 300, n'a jamais bénéficié du stade de l'industrialisation. Pour ces séries, 150 ou 300, on avait toujours réalisé des maquettes, en général un prototype, la série était composée de protos améliorés pour lesquels on changeait le minimum de pièces, au grand dam de la production, contrainte de fabriquer selon des plans faits par du personnel d'études, dont le souci premier était, avant tout, de consulter notre gros catalogue études, avant de créer une nouvelle pièce dans un but de standardisation qui, à la fin, risquait de nous faire fabriquer des "mécanos", ce qui ne satisfaisait personne, surtout que la série 300 était très différente des anciennes séries..

Et là, maintenant, avec cette technique d'industrialisation, j'avais la possibilité de tout reprendre en partant du prototype. Pour cela, les échanges de vue avec les responsables du bureau des méthodes fabrication étaient quotidiennes. Ceci est très important car, au lieu d'être obligés de "composer" avec des pièces sortant tout droit des études, il avaient participé à l'obtention du dessin des pièces. On obtenait un matériel mieux réalisable, mieux fabriqué et, finalement, souvent moins cher et respectant les caractéristiques fonctionnelles imposées par les études. Les 3 parties étaient impliquées.

On pouvait mettre en veilleuse cette lutte fratricide disant en permanence "les études ne savent rien faire, la fabrication est incapable". Pour obtenir de bons résultats, il est impératif que le personnel des études et celui de la fabrication arrivent à s'entendre, leur conception des problèmes, au départ, étant souvent éloignées l'un de l'autre.

La L.M.2 sera la première machine utilisant ce concept Etude, Réalisation, Reprise industrielle. Honnêtement, je pense que nous avons réalisé une bonne machine. Dans un premier temps, elle a remplace le lecteur R.C.A. du Gamma 30, puis sera installée dans les nouvelles séries. Elle sera le dernier lecteur de cartes performant, mais trop sophistiqué pour les besoins des nouveaux ordinateurs, dans lesquels le rôle de la carte perforée devient marginal.

Ma deuxième mission sera l'étude d'un nouveau perforateur : perforateur 100 cartes/minute. Nom de code P. 85

L'organisation du travail est identique à celle de la LM2, avec une phase de maquettage plus importante car on ne partait de rien de connu. Le système d'alimentation des cartes est réalisé à l'aide d'un plateau vibrant horizontal et d'une alimentation à galets de friction (abandon des couteaux d'alimentation datant de l'ancêtre T30). Les cartes sont lues et perforées en long (comme sur les Peler, P112, …) ; ce système est plus lent, mais il permet de faire une machine beaucoup moins chère et, si la carte n'est que partiellement perforée, on peut provoquer son éjection rapide (c'était le cas des perforatrices Peler et des calculatrices C1, C2, C3). Pour améliorer les performances, la carte avance en continu et l'outil de perforation dit "oscillant" suit la carte pendant la perforation et revient en arrière pour être en place pour la prochaine phase de perforation (je te raconterai plus loin une anecdote au sujet des brevets). L'éjection est spécifique à la machine et la case de réception est munie d'un plateau vibrant. Tous les capteurs de position carte ou contrôle perforation sont à cellules photoélectriques.

Dernière utilisation connue :
L'industrialisation se fera sans difficultés majeures, la très bonne cohésion du travail avec les responsables de la fabrication nous permettra de faire une bonne machine, sortie dans les délais prévus et, me semble-t-il, adaptée aux ordinateurs Bull ou autres, puisqu'elle sera vendue à d'autres constructeurs, notamment à la C.I.I. (non équipée de ses circuits). La C.I.I., d'une façon générale, étudiait elle-même ses circuits.

La P.85 terminée, ma mission consiste à étudier une machine multifonction (Lecture, Perforation, Tris - avec 4 cases de réception). L'entraînement des cartes sur la majorité du parcours se faisait à l'aide de courroies crantées qui nous donnaient quelques soucis. Ces courroies très améliorées sont utilisées de nos jours sur nos voitures et se font quelquefois remarquer. C'est la fameuse courroie de distribution qui a remplacé la chaîne ou les pignons reliant l'arbre à cames au vilebrequin.

Je ne terminerai pas cette machine dont je n'étais pas, personnellement, convaincu de l'utilité !

Nous sommes en 1966 et, en fait, le personnel, des études en particulier, ne sait pas trop bien où il va.

J'ai oublié de te dire, nous avions fait un important déménagement en 1963, à l'Usine de Saint-Ouen, ce qui avait encore provoqué des perturbations dans tous les services concernés.

Début 1966, il est question de transférer tous les périphériques à Belfort (études et fabrication). Sur le plan familial, mon fils est à l'Ecole des Travaux Publics de Paris et ma fille est à HEC-jf, aussi à Paris, ce qui pose un réel problème.

A la même époque, Jean François, ancien de chez Bull et parti à la Division Militaire Thomson/CSF vient me voir et me dit que la C.S.F. était intéressante et "qu'ils cherchaient du personnel". J'ai été "voir" et, au mois de mars, je me suis fait embaucher comme Ingénieur d'Affaires, en position IIb avec un meilleur salaire.

Je ferai mon préavis de 3 mois chez Bull et partirai en bons termes avec tous. Nous ne le savions pas encore, mais nous aurions dû ajouter : Au revoir et A BIENTÖT.

II - 4 20 ans au Service des Etudes - Réflexions et anecdotes

Je vais maintenant donner quelques anecdotes concernant les problèmes d'études et de brevets qui s'y rapportent. Pour ce qui est des Brevets et du Service des Brevets, il faut évoquer la présence permanente à la tête de ce service de Mr Knutsen Knut-Andreas.

Cet homme charmant, très compétant mais trop modeste est le premier maillon entre l'inventeur Frédéric Bull et la Cie des Machines Bull. Ancien compagnon de Frederic Bull, c'est par lui que sont arrivés les premiers Brevets à la Compagnie. Je le revois dans son modeste bureau, devant sa grande planche à dessin, calculant et dessinant en permanence des systèmes électro-mécaniques compliqués.

Pendant de nombreuses années, il a été assisté de Mme Suzanne Tribu pour les problèmes de Brevets. Au sein de la Cie grandissante ce service deviendra important dans les années 60.

4.1 - Où est l'inventeur ?

Les personnes non initiées aux problèmes d'études, dans lesquels il y a l'idée d'invention, pensent généralement qu'un homme a inventé une machine. Ce cas de figure ne se présente pratiquement jamais pour un ensemble quelque peu complexe. Un homme seul peut inventer et réaliser un dispositif (s'il est assez adroit) mais pas une machine complexe qui représente une multitude de petites inventions et astuces et ça, c'est un travail d'équipe, réalisé par des gens ayant des formations ou des métiers différents.

C'est alors que l'on va rechercher l'inventeur. Dans le cas d'une entreprise, le Brevet mentionnera, en général, le nom du responsable de l'équipe, éventuellement le nom de quelques participants très impliqués qui, de toute façon, n'auront pas le droit de le prendre pour, par exemple, l'exploiter ou le faire exploiter à leur nom dans une autre entreprise, sauf s'il y a accord avec la société qui a déposé le Brevet.

Dans la réalité, les choses se passent de la façon suivante :
Le service des Brevets fait des recherches en même temps que les études avancent pour s'assurer qu'aucun Brevet (français, allemand, U.S.A., anglais, …) ne nous interdit de faire la machine telle que les études la conçoivent. Des interdictions peuvent exister pour certains pays seulement. Les protections et le prix qu'il en coûte pour déposer un brevet sont très variables suivant les pays.

Certains brevets sont incontournables, par exemple le brevet déposé par IBM concernant les perforations des cartes 80 colonnes. Le brevet dit : " les perforations plus longues que larges sont brevetées ". Il ne reste possible que les perforations rondes (qui existaient couramment pour les cartes 45 et 60 colonnes) ou carrées (qui ne résolvent rien). La Cie Bull commence à être gênante après la guerre ; IBM attaque la Cie Bull, le procès va durer longtemps (Appel, Contre Appel, …). Ce n'est que grâce à un défaut de procédure que MM Vieillard et Joseph Callies ont pu découvrir qu'aux USA, IBM avait mis ses machines sur le marché avant de déposer ce brevet. C'est ainsi que Bull a gagné en dernier recours et a pu continuer à faire les cartes à trous rectangulaires (sauf à exporter aux U.S.A.). Ceci ne nous a pas beaucoup gêné car notre principal client, UNIVAC (concurrent d'IBM) utilisait les cartes à trous ronds (45 ou 60 colonnes ?) comme tous les autres concurrents (Samas Power, Burrough).

La P. 85
Nous avons effectivement " inventé " le système à outil oscillant permettant à la carte - ou à la bande - d'être perforée en mouvement continu (elle ne s'arrête pas pendant la perforation).

Une autre société avait déjà déposé un brevet, la réalisation était faite avec de la bande et le cas de la carte (beaucoup plus compliqué) était simplement cité comme une possibilité. Finalement, nous avons eu le droit d'utiliser le principe mais nous n'avons pas pu prendre de brevet intéressant.

Les plateaux d'alimentation et d'éjection des cartes sont dits vibrants (ce qui diminue l'adhérence des cartes). Ils ont été étudiés, à l'origine, pour une version de la L.P. 300 (qui a été abandonnée) et ont été repris plus tard sur la P. 85. Le système, mécanique à l'origine, est devenu magnétique en utilisant des électro-aimants. Cette petite invention est dûe à un technicien d'essais dont le nom ne figure sûrement pas dans le brevet.

Le contrôle de la perforation de la P. 85
Le contrôle des différentes fonctions dans une machine est très important et le fait de contrôler automatiquement que la fonction commandée a été effectivement réalisée est primordiale. Dans notre cas, je pensais qu'il était possible d'insérer dans le bloc perforation des capteurs optiques. Nous en discutons avec le dessinateur et notre électronicien " de service " et nous réalisons des capteurs qui fonctionnent très bien.

L'inventeur principal, c'est moi-même ! ce qui est plutôt cocasse, puisque je ne suis pas très compétent en électronique.

J'ai une anecdote sur la L.P. 300, pour laquelle j'étais responsable des essais. Au début de l'étude, nous recherchions des solutions, des idées, et construisions des maquettes.

Nous devions perforer des cartes à la vitesse de 300 c.p.m ; Nos perforatrices à outil bloc de 960 poinçons ne pourraient atteindre cette vitesse en raison de la trop grande inertie. Je me souviens, j'était dans l'atelier Prototypes et G. Toutain, jeune ingénieur qui " planchait " au B.E. vient me voir pour échanger des idées. Il est question d'outil de perforation ligne à 80 poinçons. Pour perforer, il voudrait déplacer la carte par avance successives et utiliser un outil fixe. Il me vient à l'idée que l'on pourrait faire un système en partant de l'idée de la griffe des machines à coudre, dans lesquelles le tissu avance grâce à la griffe à chaque point d'aiguille. Dans notre cas, les poinçons remplaceraient l'aiguille. Je n'ai pas de gloire à connaître ce problème de machine à coudre, ma mère ayant un atelier de confection.

Avec cette idée en tête, mon ingénieur, très sympathique par ailleurs, est reparti à ses chères études. Finalement, nous réaliserons un système constitué de lamelles jouant le rôle de griffe et nous pourrons nous dispenser de faire monter et descendre les lamelles. Ces lamelles seront connues par les Bullistes sous le nom " d'arrêtes de poisson ".

Ces arrêtes, qui sont des lames de ressorts, font avancer la carte point par point machine (elles reculent et avancent à nouveau). Elles nous donneront du souci pour la mise au point car situées dans une zone " aveugle " du bloc de perforation. C'est grâce à notre Strobo (fabrication Bull) et au cinéma rapide (> de 1000 images seconde) que nous avons trouvé la cause lorsqu'il a été possible de sacrifier un bloc pour voir les arrêtes au travail. Comme tout bon ressort ne demande qu'à vibrer, il vibrait juste dans la fréquence qu'il ne fallait pas et provoquait des mauvaises prises de carte.

Au fait, qui est vraiment l'inventeur de ce dispositif ?

Comme dernier exemple, je prendrai le Gamma 3. Par qui et comment a été conçu cette machine ,

Dans un premier temps, la Direction de la Cie, ayant compris que l'électronique serait présente dans les années à venir, a embauché un spécialiste électronicien, qu'elle charge de mettre en place une équipe pour étudier un organe de calcul électronique.

Pour réussir, il faudra :

  1. Choisir un homme qui soit capable de constituer une équipe dans laquelle les qualités complémentaires de chacun permettront de faire avancer le projet dans de bonnes conditions
  2. En partant des connaissances en électronique de l'époque, il faudra faire des choix dans les techniques existantes ou prêtes à aboutir, ou même à créer et, forcément, prendre des risques … calculés.

La réalisation des produits nouveaux utilisant des techniques nouvelles et des moyens assez importants n'est pas toujours facile à faire (La Cie a fabriqué le tambour magnétique, les Tors, participé à la mise au point des transistors balbutiants, etc…). Ce qui a fait dire par quelques personnes que, quelquefois, on avait pris des marges trop grandes, diminuant ainsi les performances. C'est facile à dire … après .

Dès le début de l'étude, le problème des brevets se présente et oblige à faire de nombreuses recherches sur le plan international.

On examine tout ce qu'il est possible :

La personne embauchée par la Cie est Bruno Leclerc. Les principaux ingénieurs de l'équipe seront M. Relai, H. Feissel, P. Chenus, puis de nombreuses personnes, ingénieurs et techniciens.

La réussite est bien celle d'une équipe, par ailleurs compétente, sympathique et bien managée. Qui est l'inventeur du Gamma 3 ?

Je voudrais envoyer une pensée amicale à nos maquettistes, car on en parle rarement et ils sont pourtant très présents pour réaliser des ensembles fonctionnels ou non, et pour apporter leurs propres idées ; ils font partie intégrante de ces équipes d'études qui inventent !

Pour terminer, je dirais que le problème de l'invention, et donc des Brevets, est très compliqué. Il oblige les sociétés à protéger leurs inventions efficacement, mais aussi à s'assurer que l'on ne part pas sur une piste déjà occupée ! en sachant que tous les pays n'offrent pas les mêmes protections. Par exemple, dans un Brevet allemand, on examine le Brevet dans " l'esprit ", dans un Brevet américain, il suffit d'apporter une différence notable pour pouvoir tourner le Brevet. Le Brevet français (S.G.D.G.) est peu cher et peu performant.

NB : Ces informations datant des années 50 ne prennent pas en compte les données du problème en l'an 2000.

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